« La Variante chilienne », la mémoire dans les pierres

VariantechiliennePascal, professeur de littérature, embarque la jeune Margaux pour des vacances loin de tout dans la vallée de la Chantebrie. Leur seul voisin s’appelle Florin et collectionne les pipes et les cailloux…

Je n’avais pas caché mon enthousiasme à la rentrée 2014 pour La Fractale des raviolis, de son titre pour le moins surprenant à sa rhapsodie d’histoires décalées. Depuis l’interview qu’il avait acceptée de m’accorder, Pierre Raufast, son auteur, est devenu un fervent soutien du blog et un ami. J’attendais donc avec une impatience accrue son deuxième roman, dont j’avais dévoilé le titre il y a quelques mois.

Privilégiée que je suis, j’ai pu le lire en avant-première il y a quelques mois. Et j’ai immédiatement flairé le succès. La Variante chilienne a pour elle les qualités qui ont fait de La Fractale LA pépite inattendue de l’an dernier : des intrigues mêlant suspens, humour, noirceur, fantaisie et réalisme, des personnages variés, un univers construit et tenu de bout en bout dans lequel on se plonge avec délice. L’auteur n’a rien perdu de son talent de conteur, bien au contraire, on sent qu’il a travaillé et affiné son style et sa gestion des personnages et du récit. Là où le premier roman rebondissait d’une histoire à l’autre, ici tout s’imbrique comme un puzzle sans jamais se détacher tout à fait des trois personnages principaux que l’on suit tout au long du roman. La Variante porte bien son nom : elle varie les angles et les moments saisis pour composer des portraits riches et vivants, ceux de trois personnages hors du commun. Aussi à l’aise pour évoquer de grands textes littéraires, des bas-fonds sordides, des termes techniques de métiers divers que pour composer des poèmes dignes d’une adolescente plus vraie que nature, Pierre Raufast sait se glisser dans toutes les peaux avec un bonheur qui rejaillit sur son lecteur. On sent qu’il aime ses personnages et qu’il se délecte de leur inventer un passé composite et bariolé.

Entre autres curiosités, on rencontrera cette fois-ci un sapin portant des poires, un appareil à faire parler les vases anciens, une piscine-potager, un spécialiste de Pac-Man, Jorge Luis Borgès et la partie de capateros, un jeu de cartes alambiqué qui donne son nom au roman. Autant dire que la fantaisie est au rendez-vous. Mais pas seulement. En approfondissant ses personnages, l’auteur réussit à instiller entre eux de l’émotion, de la tendresse, et chez les lecteurs un attachement certain à Pascal, Margaux et Florin. Même si la tonalité reste parfois proche du conte, ses personnages semblent réels. On aimerait s’attabler avec eux sur la terrasse pour entendre Florin conter l’anecdote liée à un nouveau caillou.

De ce récit multiple jaillit une réflexion sur le temps qui passe et l’importance des souvenirs : comment se construire si l’on oublie d’où l’on vient et ce qui nous a forgé ? Et en même temps, ne faudrait-il pas parfois savoir faire table rase du passé pour prendre un nouveau départ, ou simplement mieux apprécier le présent ?

Comme le disait Ronsard, « Le temps s’en va, le temps s’en va ma Dame/Las ! le temps non, mais nous nous en allons ». Si la mémoire nous quitte, tâchons de ne pas oublier trop vite les enseignements doux-amers de La Variante chilienne et le plaisir de lecture qu’il nous aura indéniablement procuré.

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