« Tartes aux pommes et fin du monde » : la suavité du désespoir

CVT_Tartes-aux-pommes-et-fin-du-monde_200Un père alcoolique, une mère absente, un chien brutalement décédé ont marqué l’enfance d’un narrateur perdu dans ce monde de brutes. Tombé amoureux de la jolie Alice au supermarché, il se prend alors à espérer que la vie s’adoucisse…

J’ai découvert Guillaume Siaudeau il y a peu à la lecture de son deuxième roman, La dictature des ronces. J’avais été séduite par son univers onirique et décalé où des personnages estropiés cohabitent sur une île dont personne ne veut repartir. Je me suis donc plongée avec impatience dans Tartes aux pommes et fin du monde. Les deux romans sont à la fois proches et différents.

Proches par leur narrateur, toujours pas nommé, qui pourrait être le même. Un homme que l’on imagine d’âge moyen, de taille moyenne, sans particularité physique notable, en un mot, un quidam. Mais un quidam qui sous ses dehors banals cache une vision du monde qui lui est propre, filtrée par ses émotions. Dans ce roman-ci, le narrateur m’a fait penser à celui d’Isabelle Minière dans Je suis très sensible, un autre roman déroutant. Très sensible, le protagoniste de Guillaume Siaudeau l’est certainement, lui qui traîne depuis l’enfance un certain nombre de traumatismes qui résonnent sur sa vie d’adulte, parmi lesquels la séparation de ses parents, la déchéance paternelle et la mort brutale de son chien préféré.

Mais les deux romans du clermontois diffèrent par leur cadre. Alors que La dictature des ronces déployait une île imaginaire pour nous faire réfléchir sur la solitude et ce que l’on serait prêt à faire pour se sentir chez soi quelque part, Tartes aux pommes et fin du monde s’ancre dans une réalité quotidienne réaliste, celle d’un homme qui vivote de petits boulots (entre autres, manutentionnaire dans une entreprise de conserves pour animaux), tombe amoureux à la caisse du supermarché et apprécie les plaisirs simples et naturels comme une partie de pêche ou un baiser.

Si l’on rit parfois du regard candide que le personnage principal porte sur le monde qui l’entoure, l’on se laisse gagner au fil des pages par la compassion pour ce pauvre homme qui n’a pas eu de chance dans la vie, et qui voit son monde s’écrouler peu à peu, perdant toutes les marques de stabilité qui lui permettaient de se rassurer.

Sur qui compter quand tout va mal ? Si la citation introductrice pouvait laisser présager que le chien, réputé « meilleur ami de l’homme », serait un compagnon fidèle et consolant, c’est vers un autre « ami » que notre homme se tourne pour se sentir à nouveau pleinement vivant. Un « ami » froid, métallique et dangereux…

La narration tranquille de la vie placide du narrateur se teinte alors de suspens. Que va-t-il advenir de ce personnage sympathique auquel nous nous sommes attachés ? Les tartes aux pommes de sa propriétaire suffiront-elles à lui donner le goût de vivre ?

Guillaume Siaudeau est décidément un auteur à suivre, pour ses ambiances oscillant sans cesse entre humour et désespoir, entre poésie et réalisme, entre petites joies et pulsions mortifères. En résulte un roman doux-amer où le lecteur finit par se demander s’il y a de quoi rire ou pleurer…

3 questions à… Guillaume Siaudeau

Très accessible (notamment sur son blog La Méduse et le Renard), Guillaume Siaudeau a accepté de répondre à quelques questions.

  • Le titre du roman est très énigmatique. Parmi les multiples objets symboliques du récit, c’est la tarte aux pommes de la propriétaire qui figure dans ce titre. Pourquoi ? De quoi est-elle le symbole ?

La tarte aux pommes est le seul élément sucré de ce roman, tout le reste est plus ou moins amer, des sentiments incompris du narrateur aux déceptions en tous genres. La tarte aux pommes incarne ici l’espoir, la douceur, l’ailleurs. Par ailleurs, une délicieuse tarte aux pommes est la seule chose capable de rivaliser avec la fin du monde.

  • Dès la citation introductive, les chiens apparaissent comme un motif capital de l’histoire. Pourtant, lorsque le narrateur se retrouve seul, il ne lui vient pas à l’idée d’adopter un chien. Ne pensez-vous pas que cela aurait pu être un remède à sa solitude ?

Si tout ce qui vient à l’idée d’une personne normalement constituée venait aussi à l’idée du narrateur, ce roman n’aurait pas existé… Il s’est justement construit autour du décalage, de la naïveté et du profil exceptionnel du narrateur. D’autre part, quand on est vraiment seul il n’existe aucun remède. Il faut savoir que sur le podium des évènements les plus dangereux, la solitude vient en seconde position, juste après la mort.

  • Dans ce roman, comme dans La Dictature des ronces, on retrouve un narrateur qui a une vision décalée et poétique du monde. Est-ce travaillé ou vous-même qui êtes aussi poète avez-vous le sentiment de voir le monde un peu différemment du commun des mortels ?

Chacun a sa propre vision du monde. Il y a autant de visions du monde que d’hommes. Il y a aussi une part de poésie plus ou moins exploitée dans chacun de nous. Par conséquent le narrateur a une vision du monde différente de la mienne, même si au fond elle s’en rapproche pas mal. À de nombreuses exceptions près…

 Un grand merci à Guillaume Siaudeau pour ses réponses qui entrouvrent la porte de son univers…

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