« Le liseur du 06h27 » : mort et résurrection des livres

Le-liseur-du-06h27_4082Guylain Vignolles fait croire à sa mère qu’il travaille dans l’édition. En réalité, il conduit les livres au pilon, l’équivalent de l’abattoir. Alors pour racheter sa faute, tous les matins, Guylain lit à voix haute dans le RER les pages rescapées du massacre… 

Ce petit ouvrage à la couverture voyante a beaucoup fait parler de lui ces derniers mois. Un titre original, un éditeur plutôt engagé, l’étiquette « premier roman », autant d’arguments pour aiguiser la curiosité de bon nombre de lecteurs, et la mienne par la même occasion.

Et je dois dire que je comprends assez bien l’engouement pour ce roman beaucoup moins léger qu’il n’en a l’air. Certes, on y trouve quelques conventions du feel-good book : des rencontres entre des personnages qu’a priori tout opposait, de l’humour, des jeux sur les mots, une galerie de portraits hauts en couleur… Tout cela m’a d’ailleurs rappelé le fameux Fakir de Romain Puértolas, plume facétieuse et positive s’il en est. Sauf qu’à la différence du fakir qui s’extrait de son milieu originel pour parcourir le monde dans une armoire, Guylain n’a pas la chance de découvrir des horizons lointains. Enfermé dans sa vie comme Rouget dans son bocal, condamné à n’en pas sortir au risque de suffoquer comme le téméraire poisson rouge, l’employé du pilon n’accomplit pour seul voyage que son trajet quotidien en RER.

Et pourtant, à sa manière, Guylain s’évade. Vous l’aurez compris, on a affaire ici à une ode à la littérature. Comme disait Montaigne, « je n’ai jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé ». Chaque personnage positif du roman incarne un rapport différent au livre : lecteur, déclamateur, collectionneur, poète, auditeur, écrivain… chaque rapport aux mots, au texte, est unique, mais toutes ces facettes composent le portrait de l’humain qui en mérite vraiment le nom, par opposition aux brutes que côtoit Guylain sur son lieu de travail.

À ma connaissance, jamais romancier ne s’était risqué à prendre pour protagoniste un employé du pilon. L’audace est d’autant plus remarquable pour un premier roman. Et pour étonnant qu’il puisse paraître, ce choix intelligent est à mes yeux ce qui fait vraiment la valeur de ce livre. En effet, l’ébauche de romance m’a semblée presque superflue par rapport à l’enjeu central de l’histoire : comment vivre quand on passe ses journées à détruire des livres ?

C’est dans cette dénonciation du pilon que Jean-Paul Didierlaurent est brillant. N’hésitant pas à employer des termes forts (« génocide »), ni à caricaturer les employés, l’auteur fait de la machine un monstre avide de papier… mais aussi de chair fraîche. Car ne vous y trompez pas, il n’est pas question que des hautes sphères et des nourritures spirituelles. Dans ce roman, il y a aussi de la sueur, de l’urine, du sang, et des êtres cabossés et mal lotis qui font de leur mieux pour continuer à vivre. L’auteur a su allier les ficelles d’un best-seller avec une vraie réflexion et une plume parfois acide qui appuie où ça fait mal pour mieux inciter à la révolte. On pourrait juste regretter qu’il n’aille pas plus loin dans l’engagement et préfère finir sur une note légère. À moins que la suite de la vie de Guylain ne vienne un jour raviver le feu sacré…

Trois questions à… Jean-Paul Didierlaurent

J’ai eu l’occasion de rencontrer Jean-Paul Didierlaurent au salon du livre jeunesse de Montreuil puis à Radio France fête le livre. 

  • D’où est née l’idée de lectures à voix haute dans le RER ? Est-ce quelque chose auquel vous avez réellement assisté ?

Non, je n’ai jamais assisté à ce genre de performance. L’idée m’est venue en 2005 lors de l’écriture d’une nouvelle. Il y avait ce personnage, un vieil ouvrier au service d’un pilon insatiable, journellement plongé dans une profonde souffrance morale à devoir détruire tous ces livres. Il me fallait lui trouver un moyen d’expier ce crime, d’atteindre une certaine forme de rédemption, de purification, même si celle-ci n’est que passagère, pour lui permettre de continuer ce travail de bourreau. Et cette idée de sauver un livre par jour pour en lire des extraits à haute voix dans le train qui l’emporte au travail tous les matins m’est venue naturellement. Même si elle est insignifiante, j’ai trouvé cette action de rébellion contre un système tout-puissant à la fois noble et poétique.

  • Comment avez-vous modifié votre écriture pour rédiger les extraits de livres que lit Guylain et qui sont tous très différents ? Était-ce un exercice difficile ?

Tous les extraits que lit Guylain, hormis le passage « érotique » et le journal de Julie, sont en réalité issus de nouvelles que j’avais déjà écrites il y a plusieurs années. J’ai prélevé ainsi des passages qui me convenaient et les ai restitués tels quels, sans en modifier l’écriture. Si ces extraits sont tous très différents, c’est essentiellement parce que les thèmes abordés par ces nouvelles l’étaient tout autant, ce qui a donné ce patchwork de textes bien distincts les uns des autres

  • Il y a dans votre livre un côté feel-good book avec des trajectoires positives mais aussi des images très sombres autour du pilon : vous sentez-vous plutôt du côté du message d’espoir ou de la dénonciation ?

Je souhaitais ce tableau très sombre autour de Guylain afin de pouvoir le tirer lentement vers la lumière. Démarrer avec une chrysalide laide et terne pour au final, voir émerger un papillon coloré. J’aime les contrastes, les clairs-obscurs. Passer des larmes au rire, de la joie au désespoir, du rêve au cauchemar et vice-versa. C’est la vie et ce qui en fait le piment, ni plus ni moins. Lors de l’écriture du roman, à aucun moment je n’ai cherché à faire passer un quelconque message ou à dénoncer un système, même si à l’arrivée, le roman peut ressembler à un plaidoyer pour la lecture. Il est vrai que tous les personnages ont un rapport étroit avec les mots, que ces mots soient écrits, lus voire même déclamés, et cet amour des mots constitue le ciment du livre. Non, je crois tout simplement que j’ai écrit le livre que j’aurais aimé lire, et j’y ai pris beaucoup de plaisir.

Merci beaucoup à Jean-Paul Didierlaurent d’avoir accueilli avec bienveillance mes questions.

4 commentaires sur “« Le liseur du 06h27 » : mort et résurrection des livres

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  1. Comme disait Montaigne, « je n’ai jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé ». J’hésitais avec Montesquieu…

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