Veuf depuis 20 ans, Mr Williams, qui dirige l’équipe travaux publics au County Hall, apprend qu’il est atteint d’un cancer et n’a plus que quelques mois à vivre. Aussitôt, il cesse de venir au bureau…
Mis en scène par Kurosawa en 1952, Vivre est un film qui a beaucoup marqué l’auteur nobélisé Kazuo Ishiguro dans sa jeunesse. Mais installé au Royaume-Uni, l’écrivain d’origine japonaise trouve de nombreux points de coïncidences entre ces deux cultures et rêve d’une réécriture britannique du film. L’évoquant au cours d’un dîner avec le producteur Stephen Woolley, ils tombent d’accord sur le projet lorsqu’ils sont rejoints par Bill Nighy, que tous deux imaginent à merveille dans le rôle principal.
En effet, le comédien est plus vrai que nature sous les traits de Mr Williams, un homme d’apparence très rigoureuse, toujours tiré à quatre épingles dans des costume stricts, s’exprimant en peu de mots, guidé par les convenances et la routine dans une existence qui semble pour lui avoir perdu tout sens et tout plaisir au moins depuis le décès de son épouse. Même ses relations familiales avec son fils et sa belle-fille qui vivent sous son toit sont régies par les habitudes et une incapacité à communiquer profondément sur les sujets importants ou intimes. Conscient que son fils s’est fait mettre le grappin dessus par une femme intéressée par l’argent qu’elle pourrait tirer du beau-père, incapable de renouer un lien fort avec ce garçon devenu un adulte lisse, Mr. Williams ne semble plus avoir aucune attente ni aucun espoir dans la vie.
Dans un Londres des années 50 retranscrit avec d’autant plus de précision que les scènes professionnelles ont pu être réellement tournées au County Hall, avec un grand soin apporté aux décors et costumes, et un joli travail de photographie de la part de Jamie Ramsay, le réalisateur sud-africain Oliver Hermanus, repéré avec Moffie, réussit réellement à s’approprier l’imagerie d’une culture qui n’est pas la sienne. On a l’impression de plonger dans une gravure d’époque ou une vieille photo, avec tous ces hommes en costume et chapeau prenant le train pour aller travailler, que nous découvrons aux côtés de la nouvelle recrue (Alex Sharp, vu dans How to Talk to Girls at Parties), personnage développé par Ishiguro qui rajeunit un peu le casting et apporte une touche de fraîcheur et un point d’accroche pour le public.
Ce rapport que nous avons l’impression d’avoir avec le Londres photographique de l’époque, c’est également celui du personnage principal avec ses propres souvenirs dans une des scènes les plus touchantes et cinématographiquement marquantes du long-métrage, où il semble voir rejaillir ses proches tout droit issus de photographies du passé accrochées sur les murs.
Alors que l’annonce du terrible verdict médical fait prendre conscience à Mr Williams qu’il faut tirer parti du temps qu’il reste, c’est l’occasion pour sa jeune employée Margaret, pleine de vitalité, de lui servir d’exemple. La formidable Aimee Lou Wood, découverte du grand public avec Sex Education, apporte de l’éclat et du pétillement dans un monde d’hommes ternes où l’apparence de sérieux n’est en fait souvent qu’une façon de délayer ses actions pour en faire le moins possible. Williams peut aussi compter sur la rencontre avec un dramaturge bon vivant pour tenter de découvrir comment profiter de la vie et de ses plaisirs. Mais prendre du bon temps suffit-il à se mettre dans de bonnes dispositions à l’approche de la mort ? La construction habile de la dernière partie, sous forme d’éloge funèbre à plusieurs voix, ramène de la profondeur et la mesure de la modestie sérieuse qui convient au personnage principal.
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