Nick rejoint l’armée pour faire son service militaire, encouragé par sa famille. D’abord moqué pour ses origines anglaises dans un milieu afrikaans, il se fait peu à peu une place avec un mot d’ordre : rester discret…
Le réalisateur Sud-Africain Oliver Hermanus s’empare du récit autobiographique de son compatriote André Carl Van der Merwe, qui s’était appesanti avec ce livre sur un passage marquant de son entrée dans la vie adulte : ses deux années de service militaire.
C’est bien un rite de passage que le film nous présente, avec les célébrations en ouverture autour du jeune Nick, qui s’apprête à quitter sa famille pour aller « devenir un homme ». Pour rajouter une petite couche au cliché que la famille de Nick a en tête, son père lui offre un cadeau à glisser dans ses bagages : une revue de charme pleine de femmes dénudées, parce que eh, voilà bien ce qui va manquer là-bas, et un homme est un homme, n’est-ce pas ?
Mais Nick semble bien au-dessus de ces considérations charnelles, apparaissant tout d’abord comme un être de cœur encore proche de l’enfance. En témoigne le troc qu’il effectue aussitôt arrivé dans sa chambrée, après un voyage en train qui a déjà permis de montrer la saleté, le racisme et l’ivrognerie des jeunes hommes laissés entre eux : pour récupérer la photo de son père, qui lui vaut des moqueries sur son origine britannique, il cède de bon cœur la fameuse revue.
À partir de cet épisode, Nick nous semble comme différent, même si toute son attitude consiste à se faire discret, suivant les conseils qui lui sont prodigués à plusieurs reprises. Avec son jeu très en intériorité, Kai Luke Brummer a tout du sphinx, qui parvient malgré son immobilisme et son mutisme à toucher. Pour autant, lorsqu’un sourire éclaire son visage, le personnage semble retomber en adolescence… et n’est pas à l’abri d’en ressentir les émois.
Pourtant, tout le cadre s’y oppose. La peinture faite de l’armée sud-africaine (mais celle d’ailleurs serait-elle un tant soit peu différente ?) est sans pincettes : les chefs aboient sur les recrues, les poussent à l’épuisement, les privent d’eau, les torturent tant physiquement que psychologiquement. Les cris, la cruauté, l’abrutissement sont de mise. Et plus les faits sont horribles, plus la photo sublime les jeunes soldats alignés pour l’inspection, comme pour souligner leur jeunesse et leur potentiel loin de l’institution qui les change en chair à canon et leur lave le cerveau. L’image de Jamie Ramsay est magnifique, associée au montage dynamique et à la musique engageante. Parmi les tares de l’institution, c’est l’homosexualité qui est relevée par le scénario. « Moffie », le titre du film, n’est autre qu’une insulte envers les recrues considérées comme « homo » en raison de leur mollesse ou de leur manque de subordination. Un qualificatif qui peut coûter cher, jusqu’à un placement dans la terrifiante « Unité 22 », objet de tous les racontars, où sont envoyés les jeunes hommes considérés comme malades psychologiquement. La caméra d’Hermanus prend le parti de ne pas montrer les horreurs subies dans ce lieu, et même les dialogues en esquivent les détails. On sent une certaine pudeur, une dignité dans le traitement du sujet. Quelque part, c’est presque frustrant de ne voir en face ni la pire violence, ni aucun rapprochement concret entre les personnages. Le montage coupe à la nuit tombante, laissant Nick face à son camarade sous une même couverture. Aucune nudité frontale, aucune érotisation possible dans cet univers.
Par comparaison, les parenthèses ensoleillées passées à la plage ou à jouer au volley font office de bulles d’oxygène. Mais jusqu’au bout, la pudeur et la subtilité demeurent, au point de nous laisser douter de l’interprétation à en tirer. Beaucoup de finesse, presque trop pour l’évocation d’un tel sujet, surtout quand on a en tête des longs-métrages qui font moins dans la dentelle sur les jeunes appelés d’autres lieux et d’autres temps (Outrages, Voyage au bout de l’enfer). Mais celui-ci a le mérite de mettre en lumière l’homophobie crasse de l’armée et ne maintenir une forme d’espoir dans sa résolution.
Moffie, le 04/07 à 20h au MK2 Quai de Seine et le 06/07 à 21h40 au MK2 Quai de Seine
Votre commentaire