« Géantes » :  la femme qui grandit

Laura mène une vie simple et ritualisée jusqu’au jour où elle est sollicitée à la dernière minute pour participer à l’interview d’un réalisateur japonais dont elle a lu toutes les œuvres. Quelques jours plus tard, elle se rend compte qu’elle a mystérieusement grandi…

L’écrivaine Murielle Magellan, également devenue réalisatrice pour le cinéma cette année avec son adaptation de La Page blanche de Pénélope Bagieu et Boulet, propose avec son dernier roman en date une expérience fantastique qui représente en quelque sorte le contraire de L’Homme qui rétrécit. Suite à un événement qui sort de l’ordinaire, son personnage féminin se met à croître indéfiniment, ce qui entraîne des réactions le plus souvent négatives autour d’elle.

L’histoire en elle-même est celle d’une forme d’épanouissement physique extrême correspondant pour Laura, jeune femme réservée, lectrice assidue, épouse discrète et dévouée, un peu complexée par ses rondeurs, à une prise de conscience de ses qualités et de ses capacités, humaines, intellectuelles, professionnelles. La particularité de Laura, hormis sa grande taille, qui vient apporter au livre une forme à la fois de fantaisie dépaysante et de profondeur érudite, c’est sa passion pour la littérature japonaise. On peut souligner le gros travail de documentation de l’autrice pour rendre crédible l’intérêt de son personnage, qui cite à de nombreuses reprises et assez précisément des textes nippons. Ceux-ci s’insèrent de manière originale pour créer des ponts entre les lectures de la protagoniste et son autre passion, l’œnologie (un loisir visiblement cher à Murielle Magellan puisqu’elle l’a également attribué à la protagoniste de son film). Le Japon est plus qu’un décor créant un arrière-plan poétique, c’est aussi ce qui donne à Laura une façon de penser singulière, capable d’accepter les coïncidences ou les bizarreries de l’existence, de croire à la possibilité d’une forme de sort jeté par un auteur .

L’autre grande singularité du livre, c’est que l’autrice alterne les chapitres de sa fiction avec des extraits de son journal, dans lesquels on peut suivre la réflexion qui l’amène pas à pas jusqu’au sujet du roman. Dans ce récit plus personnel, elle part de la rencontre avec un écrivain connu qui se permet une réflexion sur son physique et son vieillissement, ce qui constitue le point de départ d’une divagation sur les rapports homme-femme. Comme beaucoup de femmes de sa génération, Murielle Magellan veut à tout prix refuser ce qu’elle appelle « la radicalité » d’un féminisme conscient et contemporain, et tente de ménager la chèvre et le chou. Pourtant, en dépit de ses réticences affirmées, il est intéressant de constater que certaines problématiques font leur chemin jusqu’à trouver dans la partie fictionnelle une expression plus entière que dans ses pensées propres.

Pour nous lecteurs et lectrices, le livre avec son contenu double interroge sur la possibilité pour les femmes de s’affranchir des limitations posées par les hommes, que celles-ci prennent la forme de la violence ou d’une séduction parfois pas très éloignée d’un paternalisme condescendant. L’expansion physique de Laura constitue une évidente métaphore d’une tentative pour les femmes de prendre leur juste place, ce qui n’empêche pas le récit d’être aussi plaisant et prenant au premier degré.

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