Nomi débarque à Las Vegas et se fait dérober ses effets par un conducteur peu scrupuleux. Elle tombe sur Molly, costumière pour un cabaret, qui l’héberge et l’aide à trouver un travail comme lap danseuse…
Après les succès de Total Recall et Basic Instinct, Paul Verhoeven a les mains libres. Il hésite entre le scénario de Joe Eszterhas qu’il trouve trop tiède et proche de Flashdance, et un film de pirates, pour lequel il ne parvient pas à réunir l’imposant budget nécessaire. Finalement, un remaniement du texte le convainc de donner son intérêt au projet Showgirls, mais celui-ci connaît d’autres péripéties en termes de casting, entre refus et auditions ratées.
C’est ainsi que le rôle principal échoit à la quasi-inconnue Elizabeth Berkley, qui ignore encore qu’elle vient de mettre le pied dans une forme de prison dorée : une œuvre dont la réception catastrophique condamne sa carrière, mais qui fait aussi d’elle une icône, définitivement associée dans les esprits au personnage de Nomi.
Ce qui est jugé « nul » et « vide » par les critiques et le public de 1996, c’est en partie ce qui lui vaut sa réhabilitation plus de dix ans plus tard : sa nudité exacerbée et assumée, ses scènes de sexe chorégraphiées, sa saturation visuelle de strass et de dorures, son rythme staccato jusque dans les mouvements de danse saccadés, son arc narratif circulaire dont aucune échappatoire n’est possible. Sous l’aspect léger des tenues des filles et le côté clinquant de Vegas, Showgirls est probablement le long-métrage le plus désespéré de son réalisateur, celui qui exprime le mieux sa vision d’un monde pourri par l’argent, la quête de pouvoir, et la domination masculine.
Le parcours de Nomi a des points communs avec celui d’une autre jeune fille blonde, l’étoile de la partie néerlandaise de la carrière de Verhoeven, la Monique van de Ven de Keetje Tippel. Toutes deux fruits d’une famille hautement problématique, elles doivent très jeunes subvenir à leurs besoins par tous les moyens possibles, et comprennent rapidement que le pouvoir et l’argent sont généralement placés dans les mains des hommes. Pour en obtenir une part, user de son corps comme appât ou comme arme sont les deux options majeures. Et dans cette lutte, la plupart des autres femmes sont perçues comme des rivales à abattre, là où la sororité aurait pourtant eu tellement plus de chance de renverser le système. Mais cette analyse ne peut être dressée qu’a posteriori, car en découvrant Nomi, tout ce qu’on sait d’elle c’est ce mélange de méfiance et de candeur mal équilibré qui la pousse malgré ses préventions à tomber tête la première dans absolument chacun des pièges posés sur son chemin.
Puis tout s’enchaîne à un rythme effréné qui ne nous laisse pas plus de répit qu’à la protagoniste, travaillant la nuit, passant chez elle grignoter entre une audition et un rencard, dansant de façon toujours plus exténuante. On ne peut pas dire qu’Elizabeth Berkley ait ménagé ses efforts pour ce rôle ô combien physique. Surmaquillée, dénudée en permanence, couverte de sueur et de paillettes, elle incarne un monde qui court vers l’abîme en chantant. Un monde où l’on recherche toujours plus jeune, plus sexy, plus souple, plus rapide, plus sauvage et plus dénuée d’éthique. Un monde où la reine, Cristal (Gina Gershon), à l’orée du déclin, ne doit sa position dominante qu’à sa relation avec Zach (Kyle MacLachlan), et où la moindre anicroche pourrait la faire vaciller de son trône… De vacheries en coups bas, de faux rabibochages en vrais couteaux dans le dos, seule l’amitié avec Molly, qui en tant que petite main de l’ombre n’est pas une adversaire, est épargnée par la gangrène morale qui finit par rattraper chaque personnage. Ceux et celles auxquel(le)s on pourrait un temps s’attacher deviennent aussi pitoyables que les autres dans leurs obsessions, leur égoïsme, leur façon de vendre leur âme avec leur corps au système de l’entertainment à tout prix. La prison, ce n’est pas seulement le grand hôtel qui les emploie, c’est aussi ce corps, voué à servir de réceptacle aux fantasmes des autres, d’outil de plaisir, consenti ou non, mais jamais pleinement exploité pour son propre gré. Si elle n’est pas une machine au sens propre comme RoboCop, si son esprit n’a pas été technologiquement lavé comme celui de Quaid, Nomi est elle aussi le pantin d’une société pourrie jusqu’à la moelle, où nul(le) ne peut vivre de joie et de plaisir sans prendre sa part d’humiliations et de souffrances.
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