« Toute une vie pour eux », médecin et humain

À l’orée de la retraite, le docteur Fron se retourne sur toute sa carrière, depuis son choix de s’engager dans des études de médecine jusqu’à toutes ces années en tant que généraliste dans un cabinet du 5e arrondissement parisien…

Ces dernières années, la médecine est devenue un vrai territoire de fiction, en particulier marqué en France par le travail de Thomas Lilti avec Hippocrate, du film à la série. Si les urgences ont longtemps fasciné, avec la série du même nom, et si l’hôpital reste un cadre propice à la tension dramatique (La Fracture…), c’est peut-être depuis la crise sanitaire qu’on prête davantage attention à la voix des médecins sous la forme de témoignages. Il y avait eu celui de Thomas Lilti de sa tentative de retour à l’exercice de la médecine durant le premier confinement. Mais hors du cadre hospitalier, on n’entend peu les généralistes si ce n’est lorsqu’une évolution de leurs émoluments est en projet.

Le livre du docteur Fron, qui après une médecine d’urgence qui s’approche de ce qu’exerce aujourd’hui SOS médecins, a surtout pratiqué à son cabinet et dans des visites à domicile dans Paris intra-muros, permet de traverser toute une carrière, engagée presque par accident. Passionné de sport, c’est sa confrontation au monde médical en tant que patient qui suscite chez le jeune Bruno une curiosité qui peu à peu prend le pas sur ses rêves de ballon rond et le pousse à tenter des études de médecine, qu’il semble presque surpris de réussir. Pourtant, alors que d’autres qui se sont engagés dans cette voie ont choisi de bifurquer à un moment ou à un autre, lui qui ne semblait pas particulièrement animé par une vocation précoce ou profonde paraît au fil des années se trouver en tant que médecin.

Mais aussi peut-être, et surtout, en tant qu’homme, tant c’est l’humanité qui constitue le fil rouge de cet ensemble de récits, regroupés par période et par thématique. Après les débuts, l’exercice d’une médecine d’urgence au moment du service militaire, vient le temps de l’installation dans son propre cabinet, qu’il partage ensuite avec d’autres praticiens. Le généraliste évoque alors le rapport entre les maladies du corps et les maux psychologiques qu’il s’agit de réussir à transmettre, la façon des patients d’exprimer ce qui les amène, les surprises et les rencontres les plus improbables ou touchantes qui l’ont amené à réfléchir à l’exercice de son métier, ses valeurs et ses limites. La dernière partie est consacrée au chamboulement qu’a opéré la pandémie dans l’exercice de la médecine, notamment avec l’ouverture des téléconsultations, mais aussi dans le rapport de tout un chacun avec le corps médical à cette occasion.

À travers les différentes anecdotes rapportées sous la forme de chapitres courts qui se lisent facilement, se dessine le portrait d’un homme qui ne se cache pas derrière sa blouse, pratiquant son métier jamais comme un robot qui saurait toujours quoi faire sans hésiter, mais toujours avec tout le poids de son humanité et de sa personnalité. Ce qui parfois l’amène à avoir l’impression de gaffer ou à des moments de conflit avec des patient(e)s, mais génère aussi des échanges imprévus et riches au-delà du simple rapport de consultation et de diagnostic. En côtoyant notamment nombre de personnes âgées, le docteur Fron est amené à réfléchir sur toutes les évolutions du monde, et la façon dont celles-ci affectent les gens au-delà des maladies purement physiques du quotidien. Assez critique sur le culte de la science et de la technologie comme absolu qui viendrait tout résoudre, le médecin n’en est pas moins ferme sur la nécessité d’éviter toute tentative de théorie du complot et d’aborder les craintes liées au corps avec recul et raison. On le sent, la passion qui l’a animé toute sa vie est moins celle de soigner et de guérir que celle de la rencontre, de l’échange, de l’instant qui peut tout changer, quitte à parfois reconnaître ne pas savoir tout en comprendre.