Au moment du premier confinement, Thomas Lilti doit interrompre le tournage de la saison 2 de sa série Hippocrate. Il décide de venir bénévolement assister le corps médical de l’hôpital Ballanger où était planté son décor…
Après un film Hippocrate, une série Hippocrate, Thomas Lilti aurait pu sortir un livre intitulé « Hippocrate », tant les problématiques qui traversent ses œuvres forment une continuité. Le témoignage écrit s’appelle finalement Le serment, et c’est l’aveu de l’interrogation qu’on décèle entre les lignes : qu’a-t-il juré, et à qui
Depuis son deuxième long-métrage, Thomas Lilti n’a de cesse de parler de la médecine d’aujourd’hui, celle qu’il a connue et qu’il voit encore s’exercer depuis qu’il a remisé sa blouse, choisissant définitivement la caméra. Mais cette fois, il délaisse les avatars de fiction et c’est à la première personne qu’il s’adresse à nous, pour raconter son quotidien en cette année 2020 et, au-delà de la singularité du moment, son rapport au monde médical et au cinéma.
La crise sanitaire, dont il est question en ouverture du livre, n’est qu’une porte d’entrée à une réflexion plus large, une impression de déjà-vu qui renvoie l’homme adulte au tout jeune étudiant qu’il a été, lorsqu’il découvrait en externat puis en internat les différents services hospitaliers, les façons d’exercer ce métier. Cette profession, comme Benjamin dans Première Année, il l’a d’abord embrassée parce qu’elle était celle d’un père dont il recherchait désespérément l’approbation. La réalité des conditions d’exercice et les personnalités croisées, du chef maltraitant à l’infirmière motivante, ont tous et toutes influé sur sa décision de se consacrer plutôt au cinéma. Mais surtout, c’est lui-même que Thomas Lilti a perpétuellement cherché à rencontrer à travers ses atermoiements. Qu’est-ce qu’un bon médecin ? Qui fait la part du bien et du mal quand il s’agit de soigner dans des conditions où il n’y a pas de solution idéale ? Comment se défaire de l’emprise du regard parental ? Comment être à la hauteur des attentes de la société, de nos proches, et que nous avons nourries nous-mêmes ? À travers ses questions, qui émaillent le livre, et bien qu’il en revienne régulièrement à la figure du père, à la fois comme modèle avoué et comme repoussoir, peut-être n’a-t-il que partiellement conscience de la nature purement éthique de ce qui l’agite.
Thomas Lilti est un homme inquiet, c’est ce qu’on découvre au fil des pages, dans ce style d’autant plus vivant et humain qu’imparfait, parcouru des répétitions et oralités liées à son mode de création, celui de pensées jetées dans un dictaphone. Inquiet du monde comme il va, en particulier du monde médical, de ses rudesses et de ses fragilités, mais conscient de ses fulgurances et de sa solidarité aussi ; inquiet de ses actes et de leurs motivations profondes, de faire les bons choix pour les bonnes raisons, et du regard que les autres vont porter sur lui ; inquiet d’une dimension éthique qu’il ne trouve pas partout autant qu’il la trouve en lui, sondant ses failles de jeune apprenti médecin et y trouvant de quoi se condamner, tout comme il condamne la potentielle vanité qui pourrait constituer un moteur. Sa quête de sens, c’est avant tout l’espoir d’être quelqu’un de bien, quelqu’un qui aurait de quoi rendre fier ses parents, moins par ce qu’il aurait accompli que par les valeurs qui l’auraient guidé : témoigner, transmettre, faire au mieux, prendre soin. S’il met en scène comme un médecin, se reprochant le poids que son exigence peut faire peser sur son équipe, Thomas Lilti est aussi capable, par la multiplicité de ses casquettes, d’un recul sur ses différentes activités et d’une analyse sur les enjeux d’un cinéma social réaliste.
Éminemment sincère, ce court texte aura de quoi interroger autant le corps médical et ses décideurs que le monde du cinéma, ou tout un chacun à la croisée des chemins.
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