Festival QueerScreen 2021 – Saint-Narcisse

À la mort de sa grand-mère, Dominic découvre des lettres de sa mère, dont il a toujours cru qu’elle était morte en couches. Il retrouve sa trace dans une forêt où elle vit avec une jeune femme…

Movie Challenge 2020 : un film avec des jumeaux

Subversif comme il aime à se définir lui-même, le Canadien Bruce LaBruce a souvent choqué par le mélange porno, punk et transgressif de ses films (on lui doit la figure de zombie gay, entre autres). S’il invoquait depuis quelques années une volonté plus mainstream, qu’en est-il de ce Saint-Narcisse ?

Le film nous plonge dans les années 70, bien reconnaissables au style vestimentaire de ses personnages dans l’introduction au lavomatic, puis ensuite avec la représentation de Béatrice et Irène en « sorcières hippie ». Mais ce monde en apparence réaliste et bien retranscrit dans les décors et costumes va rapidement flirter avec le fantastique, dans un univers à mi-chemin entre les inquiétudes que peuvent inspirer les contes aux enfants et une ambiance mystique détournée.

La grande réussite de ce film, c’est son sens du décalage permanent, son mélange assumé de registres qui le rend globalement très plaisant. La trame narrative faite de secrets de famille et de retrouvailles inopinées rappelle aussi bien Perrault ou Grimm que Deux pour une, et le film tient du détournement de l’œuvre pour enfants dans son scénario (co-écrit par le réalisateur et Martin Girard). Pour autant, il n’est pas à mettre devant tous les yeux, car chez Bruce LaBruce, tous les rapports sont sexuels (hormis avec la mère, tabou ultime, et encore). Les personnages sont tous/tes plus ou moins pansexuels, ce qui donne une multiplicité de combinaisons possibles. Mais le grand sujet du film, c’est l’auto-érotisme. Ce Saint-Narcisse fait moins allusion à l’évêque à la vie légendaire ou à la bourgade canadienne qu’au comportement de Dominic, passionné par son image, qui ne cesse de se prendre en selfie au polaroid, semant ses photographies dans les mains d’inconnu(e)s, et capturé à l’écran dans des jeux de miroirs qui ricochent d’une scène à l’autre, jusqu’à la contemplation attendue dans la rivière. Pas étonnant alors que la rencontre avec un double identique trait pour trait (Félix-Antoine Duval incarne à la fois Dominic et Daniel) donne lieu à des ébats.

Le milieu du film nous fait basculer dans un autre cadre, celui du monastère où Daniel est retenu dans un genre de syndrome de Stockholm envers Andrew, un père supérieur qui le voit à la fois comme son toy boy et la réincarnation de Saint Sébastien. Dès lors, la musique religieuse s’infiltre dans toutes les scènes, le plus souvent d’une manière iconoclaste. L’intérieur du monastère, en particulier le bureau du père Andrew, relève à la fois du grotesque avec la statue qui roule des yeux et de la tendance aesthetic chère aux réseaux sociaux avec ses multiples bibelots symboliques. L’ensemble est bizarrement séduisant.

Il y a tant de choses qui pourraient (ou devraient) choquer dans ce film, et pourtant, avec son scénario trop proche du conte pour qu’on y croie vraiment, le plaisir et l’amusement dominent. Les ressorts comiques sont multiples : emploi de la bande-son qui exagère ou contraste tout jusqu’au rire (les « amen » psalmodiés pendant que Daniel s’excite sur un catalogue de sous-vêtements pour homme), détails subtils qui rebondissent des dialogues à l’image (le chat noir qui disparaît en fond à l’emploi de l’expression « curiosity killed the cat »), un maniement malin de l’ironie dramatique (Irène qui jette « go fuck yourself » sans avoir assisté à la scène érotique entre « doubles »…).

Iconoclaste, à la fois envers l’Église, la famille traditionnelle et même le cinéma, ce Saint-Narcisse ne se refuse rien, mêlant sans cesse différents niveaux de fiction, flirtant avec le rêve, les visions ou les souvenirs. Une façon d’interroger l’image, celle qu’on renvoie, qu’on a de soi ou qu’on cherche à donner, et de la confronter avec les pulsions inavouables, ici totalement assumées.

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