« Térébenthine » : rien ne dure au-delà de la peinture

En entrant aux Beaux-Arts de Lille avec le rêve de devenir peintre, une jeune fille rencontre l’hostilité de ses pairs et des enseignant(e)s envers sa pratique jugée dépassée. Seuls deux élèves, Luc et Lucie, se destinent également à la peinture…

Le style incisif de Carole Fives trouve un nouveau sujet avec le milieu de l’art, qui décidément inspire beaucoup en littérature. Après Le Grand Art, qui employait une enquête à la Da Vinci Code pour taper sur le milieu des commissaires-priseurs, La Figurante et sa galerie de la vacuité, et avant le récent Florida et sa critique de l’entre-soi où l’argent coule à flots et où l’extrême est de mise, il y a donc ce Térébenthine qui une fois n’est pas coutume prend le parti de l’artiste.

La référence assumée, L’Œuvre de Zola, plane dès l’article qui ouvre le roman, annonçant la mort d’un des protagonistes. L’entièreté du récit constitue un flashback sur la jeunesse de la narratrice, qui se tutoie dans le récit qu’elle fait de ses années d’études aux Beaux-Arts, comme si elle cherchait à s’aiguiller, se mettre en garde, avec la lucidité acquise par l’expérience.

Au départ il y a l’enthousiasme, l’envie d’apprendre, de progresser, de se cultiver et surtout de trouver un espace où pratiquer son art. Ce sera un box dans les sous-sols de l’école, où l’odeur du white spirit s’attache aux vêtements, ce qui donne l’idée à un camarade malintentionné du surnom de « Térébenthines » pour les trois courageux/ses passionné(e)s de peinture.

Il y a quelque chose d’assez comique, une forme d’ironie dans la dépiction du milieu artistique, la description des œuvres toutes plus trash les unes que les autres, où l’on en vient à se filmer en train de vomir ou à utiliser des crottes de lapin dans ses tableaux. L’autrice, qui a elle-même étudié dans une école des Beaux-Arts, n’est pas tendre avec l’institution ni les professeurs : l’une rabaisse ses élèves jusqu’à en pousser certain(e)s au suicide, l’autre raconte sa vie privée au lieu de s’intéresser aux travaux scolaires et agresse ses étudiantes, un troisième ne fonde ses cours d’histoire de l’art, à coups de diapositives, que sur des exemples masculins. À force de se vouloir dans l’air du temps, l’enseignement dispensé n’a plus grand-chose à voir avec l’art : tout est posture et marchandisation.

Face à ce carcan qui les étouffe, les trois protagonistes trouvent dans leur amitié, qui connaît des hauts et des bas, une bulle qui leur permet d’avancer ensemble sans trop se résigner. Mais rien ne les prépare à une autre violence : celle de la réalité économique du monde, une fois le diplôme obtenu. Le pire, c’est l’après, quand il faut bien vivre de quelque chose, quand les galeristes leurs tournent le dos à la simple évocation du mot « peinture ».

Deux grands élans vitaux traversent le récit, lui donnant du souffle et de la portée. D’une part, la passion créatrice et la croyance absolue en l’importance de son art. La peinture l’emporte sur tout, les amours et l’argent, et jusqu’à l’amitié, à travers le personnage de Luc, le jusqu’au-boutiste de la bande. D’autre part, le féminisme naissant de Lucie et de la narratrice. Celle-ci évoque dans son activité artistique « l’urgence de devenir sujet », et c’est sans doute ce qui la guidera, sans qu’elle en ait nécessairement conscience, vers le choix des mots. On devine quelque part en filigrane le parcours de l’autrice, qui avec ce livre se rend à la fois sujet et objet de son analyse, qui se donne la place centrale, celle d’une jeune femme déterminée à faire rayonner l’art féminin, à travers la reconnaissance des artistes femmes qui l’ont précédée mais aussi ses propres productions quelle qu’en soit la nature

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