Jim quitte sa province pour s’installer à Londres. Rapidement détroussé, le jeune homme se fait engager dans un club d’escorts particulier : les jeunes hommes spécialistes des arts sont prisés pour leur conversation autant que pour leur plastique…
Le monteur britannique Steve McLean passe à la réalisation en nous offrant un film réellement original, qui détonne dans la sélection des festivals LGBT+ de l’année. En effet, si le pitch semble indiquer un genre de film d’apprentissage sulfureux, ce n’est pas du tout la tonalité qui prédomine dans le long-métrage. Certes, initialement, nous suivons le jeune Jim, d’une naïveté confondante, qui se fait dérober ses économies lors de sa première nuit à Londres et se trouve contraint d’accepter un travail d’escort pour gagner sa vie. Mais d’emblée, l’atmosphère du club dont il pousse la porte est particulière : les garçons sont vêtus de tenues recherchées et vintage, et pour aguicher les clients, ils lisent des essais sur l’art pictural, le cinéma, la philosophie… Ici, il va être autant question de séduction intellectuelle que physique, comme l’expliquent à Jim les « Raconteurs », qui résument leur profession ainsi : « Parler, c’est ce que nous faisons… entre autres ».
Calibré pour un public sapiosexuel, le service donne lieu à des fantasmes artistico-historique comme le martyre de Saint Sébastien rejoué dans une chambre d’hôtel, un passage qui rappelle une scène d’un autre film de cette édition de Chéries-Chéris, le génial Saint-Narcisse. Les deux films ont en commun une grande liberté créatrice, que Caravage et moi pousse plus loin techniquement alors qu’il reste plus sage dans l’aspect érotique. Finalement, en dépit de leur profession, les personnages masculins n’ont pas de scènes purement sexuelles à l’écran et la nudité reste très partielle, et davantage considérée comme artistique qu’érotique. La grande surprise du film, c’est le détournement de son sujet pour devenir une réflexion sur le rapport du corps à l’art, à travers la condition particulière de Jim, atteint du syndrome de Stendhal, ce qui lui provoque des étourdissements devant les tableaux de maître, et en particulier ceux du Caravage.
Travailleur du sexe capable de converser sur l’art, mime de tableaux, muse, détecteur de faux, Jim teste différentes approches de sa relation à l’art. Le jeune Harris Dickinson incarne un mélange de candeur, de curiosité et de mystère qui fait du personnage une sorte d’attracteur universel que tous s’arrachent. La joyeuse bande des Raconteurs nous donne l’occasion de retrouver Jonah Hauer-King dans un rôle un peu moins tous publics que ses incursions dans les films destinés au jeune public (après L’incroyable aventure de Bella, il sera le prince Éric de La Petite Sirène en prises de vues réelles).
Le vrai plaisir procuré par le film est esthétique, avec une profusion de détails dans les tenues, une composition des plans très riche et précise et une inventivité sans cesse renouvelée. Pour un premier long en tant que réalisateur, on sent que Steve McLean s’est fait plaisir et a voulu montrer de quoi il était capable. Les techniques employées sont nombreuses, fermeture à l’iris, split screen, surcadrages pour créer des tableaux à l’écran… Les surprises sont nombreuses, et la plus délicieuse consiste en une reproduction des tableaux vivants durant les crises hallucinatoires de Jim, mettant en scène son entourage et faisant intervenir la figure du peintre à l’histoire scandaleuse. Ode à la beauté, à la créativité, à l’intellect et à la sensualité, ce Caravage et moi est fort séduisant, et d’autant plus dans sa relative chasteté, qui lui confère une grande élégance dans le rapport à l’univers qu’il évoque. Une vraie rareté cinématographique.
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