« La Grande Magie », la fiction salvatrice

Lors d’un spectacle de magie, Marta s’enfuit pour échapper à son mari jaloux. Celui-ci demande des comptes au magicien Albert, qui le persuade que sa femme est dans une boîte en bois qu’il ne doit ouvrir que s’il a la certitude d’y croire…

Venue présenter son film en avant-première en clôture du festival Premiers Plans d’Angers, Noémie Lvovsky évoque avec émotion une « panne de désir » après la réalisation de son précédent long-métrage, Demain et tous les autres jours. C’est l’amour qu’elle porte au texte d’Eduardo de Filippo, dramaturge italien du XXe siècle, qui lui rend, par son hommage à la nécessité de la fiction pour vivre, l’envie de passer à nouveau derrière la caméra.

Le résultat est sans doute à mesure de la profondeur du passage à vide préalable, une œuvre foisonnante et débordante de vie, d’idées, d’émotions à fleur de peau et d’une passion inflammable pour le spectacle et l’illusion. Dans tous ses aspects ou presque, l’œuvre se déploie sur au moins deux niveaux différents : film en costumes parce que d’époque (l’intrigue se déroule dans les années 20) mais aussi car il suit des personnages de saltimbanques souvent déguisés, musical car les flonflons font partie intégrante de la mise en scène du show illusionniste mais aussi en tant que vraie comédie musicale aux morceaux signés Feu! Chatterton, film de fantôme par la croyance du personnage de Denis Podalydès de tenir dans ses bras son épouse sous forme d’esprit cloîtré dans une boîte, puis au sens propre lorsque surgit le spectre d’un personnage décédé….

Ces redoublements contribuent à la richesse du long-métrage mais aussi, évidemment, à l’hommage rendu à la création et à l’imagination face aux cruautés de la vie. Pour Albert (Sergi López), en dépit des mises en garde de sa compagne Zaïra, les contingences matérielles importent peu, et le manque d’argent pourra toujours trouver sa solution dans quelques nouveaux subterfuges, la magie voisinant volontiers avec l’arnaque. Pour les autres personnages masculins principaux, l’illusion devient ce qui aide à survivre à la disparition de la femme aimée. Quand bien même l’homme serait grandement fautif par un comportement toxique envers celle qu’il aime, présenté sans détour dans une scène de combat dansé entre Judith Chemla et Denis Podalydès, on ne peut douter de la véracité de son chagrin, la mélancolie amoureuse frayant ici avec la maladie mentale (quand pour d’autres hélas, c’est la maladie physique que vient empirer l’amour).

La mise en scène flamboyante n’a pas peur de se confronter au grotesque ni au burlesque, et ses grands élans d’émotions peuvent emporter les spectateurs/trices romantiques comme en laisser d’autres plus pragmatiques au bord du chemin. Les audaces techniques sont toutefois à saluer pour un film français qui ne craint pas de brouiller les cartes de son genre, à la fois comédie et drame, film musical et fantastique. Les numéros chantés ne sont pas tous de la même qualité certes, d’aucuns paraissant un peu anecdotiques (l’arrivée de la famille de Charles par exemple) quand d’autres bouleversent de poésie (le plus souvent les titres confiés à Judith Chemla et Rebecca Marder, qui ont déjà toutes deux prouvé dans Les Goûts et les Couleurs leurs qualités vocales et d’interprètes). Insaisissables et essentiellement perçues par le regard des hommes qui les entourent, qu’il s’agisse d’un père, d’un mari ou d’un soupirant, ces deux personnages féminins sont pourtant sans doute l’âme et le cœur vibrant du récit. Au comportement possessif des hommes qui cherchent à les mettre sous cloche s’oppose leur désir farouche de liberté et de joie, leur besoin d’un amour romanesque et pur. Malgré les complications et les chagrins, les incompréhensions et les non-dits, le destin qui s’obstine à ce que tout finisse toujours mal, le couple formé par Albert et Zaïra n’en finit pas d’y croire, et de répandre dans son sillage l’espoir d’une joie qui, peut-être, prolongerait l’illusion que le temps qui vient vaut la peine d’être vécu.

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