Rencontre estivale avec Héloïse Pelloquet, réalisatrice du film La Passagère qui met une femme à l’épreuve physique aussi bien d’une passion amoureuse que de son métier de marin-pêcheur…
- On a vu au cinéma beaucoup de films présentant des métiers, mais celui de marin-pêcheur est plutôt rare, surtout exercé par une femme. D’où est venue cette envie ?
« Faire un film climatique »
H.P. : « Ce sont des marins-pêcheurs qui pêchent le crustacé sur un tout petit bateau. Au départ c’est parce que j’adore filmer en mer, j’avais déjà fait un court-métrage qui se passait dans le milieu de la pêche aux poissons. Comme il s’agissait cette fois d’une histoire d’amour, je trouvais ça romantique de filmer la mer, le tumulte, différentes météos pour faire un film un peu climatique. C’est l’histoire d’une femme qui vit un amour adultère avec un homme plus jeune qu’elle, et ça m’importait que ce soit une travailleuse. Il y a dans ce métier un côté ouvrier de la mer, et comme c’est soumis à la météo, ce n’est pas un métier où on peut prendre ses week-ends comme on veut. C’est une femme qui travaille dur et qui n’a pas forcément le temps pour s’offrir un caprice. J’ai trouvé ça intéressant d’offrir ce point de vue-là parce que c’était un peu différent des schémas, que j’aime beaucoup au demeurant, type Emma Bovary ou Lady Chatterley, qui sont plus des schémas de grandes bourgeoises qui s’ennuient et qui, par désœuvrement ou lassitude, imaginent une vie adultère ou la vivent. Mon idée c’était : quelle place on laisse pour la joie ou la jouissance quand le travail prend tellement de place ? Tout ça a fait qu’avec mon co-scénariste, on s’est arrêté sur la pêche aux crustacés. »

- Ça vous a permis de tourner à Noirmoutier où vous aviez tourné vos courts-métrages et où vous avez vécu…
H.P. : « Oui, j’y ai vécu. Mais dans le film ce n’est pas Noirmoutier, c’est une île de fiction. Noirmoutier est une île plus reliée, il y a un pont, là on figure une île un peu plus petite où on n’accède que par ferry, ce qui crée un aspect communautaire encore plus fort qu’à Noirmoutier. Mais le fait de tourner dans des décors que je connais bien me permet d’accéder à une forme de naturalisme qui m’est assez chère et aussi de mettre à contribution les gens de l’île, parce que j’aime bien mélanger les comédien(ne)s professionnel(le)s que sont Cécile, Grégoire et Félix, et des gens du coin qui viennent pour livrer plus ce qu’ils sont, leur histoire , et qui nous racontent le lieu aussi. »
- Avez-vous écrit le scénario en ayant déjà en tête des personnes que vous souhaitiez à la fois comme acteurs/trices professionnel(le)s et dans votre entourage pour des personnages secondaires ?
H.P. : « Plus pour les personnages secondaires. Pour les comédien(ne)s professionnel(le)s, pas vraiment, en tout cas pas Grégoire et Félix, c’était assez ouvert pour moi. Pour le rôle de Chiara, disons que quand j’écrivais le personnage, je citais souvent Cécile comme un exemple, en disant « c’est une femme très solaire, très lumineuse, qui a un charme assez malicieux, qui en même temps est suffisamment solide et physique pour être crédible comme pêcheuse, qui ne véhicule pas quelque chose de bourgeois… », et à chaque fois je finissais par dire « un genre de Cécile de France ». En même temps, je voulais qu’elle ne soit pas française. À force de dire ça, on s’est dit « proposons-le à Cécile de France », et elle a assez vite répondu oui, donc la question a été vite réglée. »

- Le personnage a des origines à la fois italiennes et belges et on a l’impression qu’elle a vécu plusieurs vies avant d’en arriver là. Comment vous êtes-vous raconté son parcours en amont ?
« Dès que le scandale arrive par elle, elle redevient l’étrangère »
H.P. : « C’était l’idée que c’est un personnage qui n’a pas de racines, c’est un peu ce que signifie le titre, qui a dans son ADN de pouvoir tout envoyer valser à intervalles réguliers de plus ou moins 20 ans. Elle a des origines italiennes par ses parents, elle a grandi en Belgique, elle en parle peu dans le film et on sent qu’elle n’y retourne jamais, en tout cas c’est une page qui a été tournée à un moment ; est-ce que c’est douloureux ou pas, on ne sait pas. C’était important pour moi qu’elle soit étrangère à cette communauté, que ça s’entende ; Cécile a travaillé un léger accent pour nous le rappeler un peu tout le temps. C’était l’idée de l’intégration en sous-texte : elle est en apparence très bien intégrée, elle fait partie de la communauté, mais dès que le scandale arrive par elle, qui ne respecte pas les bonnes mœurs et tout ça, elle redevient très vite l’étrangère, et la femme de son mari, par la même occasion. Je trouve ça assez vrai et assez fréquent. C’est la raison pour laquelle elle porte un prénom étranger, pour marquer qu’elle n’est pas complètement d’ici. »
- Elle et son mari sont des rôles plutôt rares au cinéma, elle parce qu’elle s’autorise une relation avec un homme beaucoup plus jeune, et lui parce qu’il ne juge pas brutalement mais tente de comprendre…
H.P. : « Oui, je ne voulais pas qu’il aille là où on l’attendait, c’est-à-dire dans l’hyper-possessivité. Il souffre, il fait partie des dommages collatéraux de l’affaire, mais j’avais envie qu’il y ait quelque chose de très humain dans le film, et puis voilà, le sentiment amoureux c’est quelque chose de complexe et je trouve que dans beaucoup de films d’adultère, il y a toujours cette idée d’un désamour et d’une lassitude de l’autre qui fait qu’on va voir ailleurs.
[ALERTE SPOILER]
Alors que là, elle le dit même très simplement à la fin du film « je vous aimais tous les deux, j’aurais pu vous garder tous les deux », c’est quelque chose qui me tenait à cœur, cette idée qu’il s’agit plutôt de joie en plus, de bonheur en plus, de jouissance en plus. Lui, le mari, dans son chagrin, il essaie de comprendre ça. Quand on parlait du personnage avec Grégoire Monsaingeon avant le tournage, je lui disais qu’à la fin ce qui anime le personnage c’est qu’il se sent peut-être un peu minable parce qu’il n’est pas capable de la partager. Alors qu’en fait c’est peut-être ce qu’il faudrait faire, en tout cas il aimerait sûrement avoir cette ouverture d’esprit-là. Mais en fait ce n’est pas possible, l’amour ça rend possessif, et elle brise quelque chose forcément. En tout cas, je voulais qu’il ait une réaction à la fois douce, humaine et complexe. »
- C’est aussi une façon de contrer certains clichés : ça a beau être des gens modestes, ça n’en fait pas des rustres.
H.P. : « Oui, ils sont capables d’une grande noblesse de caractère. »
- Comment avez-vous travaillé pour qu’on ne juge jamais les personnages quels que soient leurs choix ?
« Le film n’est pas immoral, il est amoral »
H.P. : « Je pense que le film n’est pas immoral, il est amoral. Dans le film, certaines personnes jugent Chiara, on lui fait des reproches, mais je crois que l’épilogue rétablit un équilibre. Avec Rémi Brachet, le co-scénariste, quand on a écrit, il était très important pour moi qu’elle ne culpabilise pas. Ce n’est pas un monstre d’égoïsme, ce n’est pas qu’elle ne se pose aucune question, mais elle n’est pas dans l’autoflagellation. Je crois que c’est parce qu’on ne la met pas en situation de devoir culpabiliser que le film ne la juge pas. »
- C’est peut-être cet épilogue qui est le plus surprenant dans le film, et qui peut en faire un personnage féministe, car même si elle brise quelque chose, ce n’est pas forcément pour construire ce qu’on attendrait derrière…

H.P. : « Exactement ! On peut dire qu’elle ne remplace pas un homme par un autre, et ça c’est important. Le film s’appelle La Passagère, et parle avant tout de sa trajectoire à elle. C’est une femme qui s’autorise une aventure, parce que par sincérité vis-à-vis d’elle-même, au moment où ça lui arrive, elle ne peut pas se le refuser, d’une certaine manière. Elle sait, même si rien n’est calculé et qu’elle n’a pas de recul au moment où elle le fait. Elle bifurque, ça crée un chaos puis un renouvellement dans sa vie, mais c’était important pour moi qu’en fait ce soit l’expression d’une forme d’indépendance. Et pas le passage d’une dépendance vers une autre. »
- Au moment où vous l’écrivez, ce n’est pas très courant au cinéma de voir une femme qui a une relation avec un homme beaucoup plus jeune, et depuis un an environ c’est quelque chose qu’on a pas mal vu. Comment expliquez-vous cela ?
« Peut-être que le regard s’adoucit sur les femmes qui prennent de l’âge »
H.P. : « C’est dans l’air du temps. Je ne sais pas comment je l’explique, je crois que l’époque change, et tant mieux. Les représentations dans l’autre sens ont beaucoup existé sans qu’on se pose trop de questions, alors que dans la vie tout existe. Tant mieux si on arrive à plus de singularité, plus de complexité. Peut-être aussi que le regard s’adoucit sur les femmes qui prennent de l’âge, je ne sais pas, j’espère ! Peut-être que ça y contribue aussi. »
- Justement il y a une manière de filmer ce couple avec l’écart d’âge très sensuelle voire érotique. Comment avez-vous travaillé pour ces scènes, y avait-il sur le plateau un(e) coordinateur/trice d’intimité ?
H.P. : « On n’a pas eu ça, mais on s’est posé la question. Je leur ai proposé de répéter les scènes mais c’est difficile à répéter parce qu’il y a quand même l’idée de se faire confiance et de se jeter à l’eau à un moment. On en avait discuté en amont, c’est important d’avoir eu une conversation franche là-dessus. On s’était demandé ce que ces scènes voulaient dire, pourquoi elles sont très importantes dans le film. C’est un film qui traite de la jouissance, du plaisir féminin, c’est un film sur le désir. La dimension érotique était très importante et on peut pas tricher avec ça, on doit vraiment le représenter. Mais c’est important de savoir ce que chaque scène raconte, et ce qu’elle raconte de l’évolution de la sexualité d’un couple, parce qu’elles sont différentes toutes les trois, il y a une évolution dans la relation, donc dans la manière dont ils se font l’amour. À partir du moment où on savait ça, où on en avait discuté, c’était écrit, comment ils font l’amour, dans quelle position, dans quelle position elle cherche à prendre du plaisir aussi. Après, ça a été fait avec beaucoup de douceur et de bienveillance. Mais c’était important pour moi de ne pas non plus être timide avec ça parce que ce sont des représentations qui manquent encore je trouve quand même. Je vois franchement beaucoup de films où des femmes prennent du plaisir dans des contextes où ça me paraît difficile. (rires) Donc j’avais envie d’apporter un peu de variantes à ça. »
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