Entretien avec Cécile de France et Grégoire Monsaingeon autour de La Passagère

Tel le film d’Héloïse Pelloquet évoquant le passage des saisons, cet entretien a été réalisé en pleine canicule à Angoulême pour être publié à la sortie du film La Passagère, dans les frimas de l’hiver…

  • La Passagère est le premier long-métrage d’Héloïse Pelloquet, qu’est-ce qui vous a donné envie de vous lancer dans ce projet d’une jeune réalisatrice ?

« Les films romantiques et romanesques nous font vibrer »

C.d. F. : « Quand j’ai reçu le scénario, je l’ai lu et je l’ai adoré tout de suite, et j’ai surtout adoré le personnage qu’Héloïse Pelloquet me proposait d’interpréter. Après, j’ai regardé ses trois courts-métrages dans l’ordre chronologique, d’abord Comme une grande, ensuite L’âge des sirènes et Côté cœur, et je suis tombée complètement en amour d’Imane Laurence, qui est pour moi la plus grande actrice du monde, au-dessus de Meryl Streep ! (rires) Évidemment elle est exceptionnelle, mais c’est aussi la façon dont Héloïse l’a filmée, ce point de vue féminin qu’elle a sur cette héroïne.  J’ai été subjuguée, donc j’ai eu très envie d’être à mon tour filmée, comme Imane, par Héloïse Pelloquet. Puis une histoire d’amour, je trouve que c’est toujours très fort au cinéma, ça nous emporte plus que quand c’est un autre sujet. Les films romantiques et romanesques nous font vibrer, nous font vivre par procuration des émotions qui nous font gonfler le cœur. C’est quand même très excitant de participer à cette magie. D’autres arts peuvent provoquer ça, mais ça reste une grande force du cinéma de parler d’amour, et ici presque d’érotisme aussi, en tout cas d’une grande sensualité, d’une intensité et d’une sexualité, on peut le dire. Tout ça faisait que j’ai eu très envie très vite de faire le film. »

G.M. : « Moi aussi j’ai eu envie de plonger dans ce dont parle Cécile, le scénario déjà. Les premiers courts-métrages d’Héloïse sont tellement pleins d’une forme de vivacité et de vie extrêmement touchante. Elle arrive à voir ce que le cinéma révèle de magique dans la vie, réussit à trouver la pépite qui brille dans le monde des ouvriers de la mer, qui est un milieu rugueux, très changeant où il faut une forme de stabilité, tenir les uns avec les autres. L’histoire d’amour de Chiara et Maxence, c’est une façon de traverser la vie dans leurs désirs et dans une sensualité qu’ils assument totalement et que le film rend presque intouchable. Il y a une espèce de préciosité et de beauté qu’on a envie de partager en tout cas. Ce n’est pas du tout à un appel à tromper ou quoi que ce soit, il n’y a aucun message dans le film ni moralité, mais je trouve qu’on a envie de suivre ce mouvement qui est une prise de risque et une aventure. C’est justement la reconnaissance extraordinaire du fait qu’on est tous de passage, quelque part, et qu’il y a une furtivité dans ces sentiments-là. Quand le cinéma arrive à les attraper, à en rendre la beauté, c’est extraordinaire. »

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©LaureChichmanov
  • Comme vous le dites, il n’y a pas de moralité ni de jugement dans le film, alors que certains sujets pourraient amener à ce genre de chose. Comment avez-vous travaillé pour qu’on n’ait jamais envie de juger les personnages ?

« Ce ne sont pas des bourgeois qui s’ennuient dans des salons parisiens ! »

C.d.F. :  « Je pense que c’est le point de vue d’Héloïse, qui n’est pas quelqu’un qui impose, qui a la prétention d’amener quelque chose de nouveau intellectuellement ou cinématographiquement. C’est parce que c’est sincère, c’est un endroit qu’elle connaît. À part nous trois [elle-même, Grégoire Monsaingeon et Félix Lefèbvre] qui sommes des acteurs professionnels, tout le reste des personnages ce sont des gens qu’elle connaît très bien dans sa vie, depuis qu’elle est petite. Donc il y a une forme de sincérité, ce n’est pas quelqu’un qui vient avec une intention de révolutionner le cinéma. Il y a quelque chose de très simple, de très populaire, de généreux. C’est très important, et c’est pour ça que c’est directement adressé au public, qu’on peut se reconnaître assez simplement. Ce sont des personnages qui ne sont pas forcément idéalisés, ce sont des travailleurs, qui sont plantés dans la dure réalité. Ce ne sont pas des bourgeois qui s’ennuient dans des salons parisiens. » (rires)

G.M. :  « C’est beau justement qu’Héloïse arrive en s’ancrant dans cette réalité à en tirer quelque chose qui va échapper un petit peu au jugement ou à l’ordre moral. Ça passe beaucoup aussi à travers les corps. Des corps dans la rencontre amoureuse et sensuelle de Maxence et Chiara mais aussi les corps de travailleurs, et puis c’est aussi le corps social, sans mauvais jeu de mots. Je trouve que le film a cette grande beauté de toujours mêler l’histoire d’amour au cours de la vie. On n’a pas forcément le temps d’avoir un avis et puis ce n’est pas forcément le plus important, de se positionner systématiquement moralement ou socialement par rapport aux choses. Quelquefois il y a aussi ce besoin de reconnaissance que les uns et les autres on porte une énergie de liberté, une capacité de s’inventer ou de remettre en question sa vie, ou de la vivre tout simplement en fait. C’est ce que fait Chiara à l’écran, elle incarne cette grande force-là. »

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©LaureChichmanov
  • Ce sont effectivement des personnages de travailleurs de la mer, ce qui n’est pas si courant au cinéma. Mais peut-être aussi parce que ça a l’air compliqué à filmer, comment ça s’est passé ?

C.d.F. : «  L’état de la mer suivait plus ou moins ce qu’on voulait : quand on voulait qu’elle soit calme, elle était calme, après on était sur place donc on modulait aussi en fonction d’elle, on devait un peu s’adapter. Puis on s’est beaucoup préparés, parce qu’évidemment c’était un tournage qui n’avait pas beaucoup de sous, qui devait être très court, donc le temps qu’on n’avait pas pour tourner on l’a pris pour préparer. Ça nous a permis de ne pas perdre de temps à faire les bons gestes puisqu’on a dû apprendre en une semaine le métier de marin-pêcheur au cageot, pour pêcher les araignées de mer, les crabes et les homards. C’est une pêche spécifique qui est assez physique, avec un petit bateau. Pour Héloïse c’était très important de représenter la justesse des gestes précis, concrets,  de ce métier-là. Et c’est génial de tourner sur un bateau, même si l’Héloïse avait la gerboulade ! (rires) »

« C’est l’essence du cinéma, il n’y a plus d’artifice »

G.M. :  « On se retrouve tout à coup en mini-équipe sur le bateau, c’était Cécile, Félix et moi, Héloïse, le chef op Augustin Barbaroux et la perchwoman. C’est aussi l’essence du cinéma, il n’y a plus d’artifice autour de nous, c’est vraiment la mer. Et même si ce n’est pas complètement la tempête, au cadre notamment c’est quand même compliqué, ça bouge énormément. Un cadre, c’est aussi quelque chose de très fragile. J’ai ce souvenir hyper fort de me dire que le cinéma part de là, une caméra, quelques acteurs, un tout petit univers comme ça. Il y a une forme de magie aussi à tourner ça. Et que ça devienne après quelque chose qu’on peut partager avec, je l’espère, des millions de personnes sur le grand écran, c’est magnifique. »

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©LaureChichmanov
  • C’est un petit bateau, et un petit univers où tout le monde se connaît. Chiara est l’étrangère, qui se trouve d’abord bien accueillie. Vous qui êtes belge et qui partagez ses origines, qu’est-ce que ça vous a évoqué ?

C.d.F. : «  Ça m’a permis de m’identifier un peu à elle, le fait qu’elle n’ait pas la même culture, les mêmes références. C’est vrai que moi en tant que belge il m’a fallu du temps. En fait, comme dans le film, j’ai été tout de suite très bien accueillie, et après j’ai dû faire mes preuves, et j’ai été ensuite encore plus aimée. Chiara n’est pas forcément un personnage très sympathique, elle est un peu bourrue, un peu brusque, même un peu brutale des fois ! Ce n’est pas un personnage qui veut plaire. Elle n’est pas exemplaire du tout, elle désobéit. C’est ça qui est évidemment génial pour une actrice, c’est de jouer ce qu’on ne peut pas faire dans la vie finalement. Le fait qu’elle soit belge raconte aussi qu’elle est de passage, que ce n’est pas son monde. Elle a tissé des liens très forts, elle a été adoptée en quelque sorte mais elle s’autorise à faire face au regard de la société des gens de cette île, qui forcément portent un jugement parce qu’il y a une morale, les bonnes mœurs, des règles à suivre qu’elle ose enfreindre. »

  • Et puis il y a la fidélité à celui qui, lui, fait partie de la communauté…
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©LaureChichmanov

G.M. :  « Qui représente aussi cet équilibre dont une communauté a besoin pour exister. Mais Chiara, elle peut remettre ça en question et le renverser. Évidemment il y a des dommages collatéraux mais c’est nécessaire, il ne faut pas laisser une société s’installer trop longtemps dans quelque chose qui va représenter non seulement un équilibre mais ensuite ce qui ne va plus réussir à bouger. Il faut reconnaître qu’on a besoin de ces passages et de ces traversées-là, c’est très important. »

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