« Grain de sable », réécrire à l’envers

La vie de Lidia a basculé lorsque son père est mort en plein tournoi des Sept Oriflammes, alors que le mage réalisait un tour avec un dragon de foudre. Lorsqu’elle perd également sa mère et son frère, l’apprentie magicienne décide de trouver une solution pour changer le passé…

Grain de sable est le premier roman de fiction pure de Louise Roullier, mais l’autrice avait déjà largement exercé sa plume dans plusieurs volumes de récits mythologiques. Et de fait, son incursion dans le genre de la fantasy est quelque part une façon de créer une nouvelle mythologie. Elle nous présente un monde qui pourrait être un futur lointain du nôtre, à la superficie largement réduite et dont l’Histoire ne remonte pas vraiment au-delà de l’apparition de créatures magiques telles que les goules et autres stryges qui s’en prennent aux humains, les sorciers et les mages dont les façons de pratiquer l’art magique s’opposent, et des figures de contes telles que la Dame blanche ou la voix de l’eau, Ewe. 

On n’est pas si loin non plus d’un univers de conte, avec cette protagoniste qui pour tenter de sauver et réunir sa famille jette derrière elle des grains comme d’autres sèment des petits cailloux. Il règne une atmosphère de magie où tout peut devenir possible pour peu qu’on trouve les bonnes combinaisons de sorts et une ambiance façon Moyen-Âge tant dans la description des tenues et des bâtiments que dans l’organisation politique faite de grandes familles rivales, d’assassinats, de coups montés, et bien sûr de tournois, comme celui qui ouvre l’histoire et constitue la scène fondatrice à laquelle il faudra revenir pour tenter de changer le cours des choses.

Roman d’aventure avant tout, Grain de sable a la bonne idée d’éviter les stéréotypes en proposant une héroïne qui ne se définit pas par son physique, ni par la romance, mais par sa fidélité à sa famille, son talent pour la magie, sa détermination et son travail acharné. Lidia n’est pas parfaite, il lui arrive de faire des erreurs, de gaspiller ses chances, de pécher par enthousiasme ou volonté de trop bien faire. C’est ce qui la rend attachante et donne envie de suivre son parcours à travers les embûches répétées auxquelles elle doit se confronter. Roman d’apprentissage également, Grain de sable contient une forte dimension sociale et politique, qui nous fait réfléchir en même temps que le personnage principal sur les modalités de gouvernement et l’effet de l’éducation et du pouvoir. Comment devient-on un tyran ? Peut-il vraiment y avoir des gentils quand il s’agit de diriger une contrée ? Y a-t-il des violences inévitables ? 

Bien construit, pour nous tenir en haleine jusqu’à la fin et doser ses révélations, le récit s’étend sur près de 500 pages sans faiblir. Ill bénéficie surtout de sa superbe idée centrale : celle d’un pouvoir des mots qui agissent à la fois sur les éléments naturels tels que le vent, sur le corps des ennemis qu’ils peuvent blesser, sur les capacités de celui qui les prononce, et même sur le passé. Le travail typologique mis en place tout au long du récit pour nous faire percevoir de manière concrète la joute qui a lieu dans différentes temporalités pour tenter de réécrire le passé est une trouvaille inédite et audacieuse qui constitue la grande originalité du livre, d’autant plus que les premières manifestations des pouvoirs apparaissent textuellement avant même que l’on puisse comprendre de quoi il retourne, contribuant à une forme de suspense. Divertissant mais non sans une certaine profondeur sur les limites de la loyauté et la nécessité d’agir avec recul et responsabilité, Grain de sable a de sérieux atouts pour faire date dans son genre.

2 commentaires sur “« Grain de sable », réécrire à l’envers

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  1. J’adore l’univers mis en place, c’est tout à fait mon genre de prédilection, alors merci de la découverte !

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