Ada Leiris offre son témoignage à dire à 14 intervenant(e)s autour de la question des rapports sexuels désirés ou forcés dans la société patriarcale…
Il y a deux ans, ce film était présenté lors du festival Premiers Plans d’Angers, où il apparaissait comme un long-métrage majeur de la compétition par son sujet fort et sa forme particulière. On n’était pas certain(e)s qu’il trouverait son chemin jusqu’aux salles tant sa forme et son sujet sont complexes à aborder. Mais le film a trouvé une équipe courageuse pour le porter sur grand écran, et on les en remercie.
Devant la caméra d’Alexe Poukine se succèdent quatorze personnes, douze femmes et deux hommes, qui disent, récitent, interprètent, lisent, selon les cas, un texte écrit par Ada Leiris. Au commencement était donc Ada, une jeune femme qui, à 18 ans, s’installe avec une amie en colocation à Lille, rencontre un amoureux, puis est quittée, et se retrouve un soir à dîner chez le copain de sa coloc, qui la met mal à l’aise. Et c’est là que l’indicible arrive. Mais l’indicible, il faut le dire, il faut en parler, c’est le postulat du film qui cherche à explorer ce que toute la société lutte pour taire.
Pour protéger l’autrice de la violence que suscitent les témoignages relatifs aux viols, la réalisatrice a choisi des acteurs/trices mais aussi des non-professionnel(le)s pour porter la voix d’Ada. Le résultat est une mosaïque qui gagne en puissance à mesure que le récit éclaté devient de ce fait universel. Mais plus encore, la réalisatrice a aussi demandé à ses participant(e)s d’évoquer face caméra les effets que leur procurait le texte dit. Et là, les vannes s’ouvrent. Chez certain(e)s, le passé de victime ressurgit, et si la réalisatrice assure avoir été pudique et coupé les récits les plus crus, certaines choses sont toutefois difficiles à entendre en face. Chez d’autres, les deux hommes du film, c’est l’aveu que le texte provoque. Une façon de nous montrer que le violeur n’est pas le monstre qu’on veut en faire pour l’éloigner de la réalité des hommes qui nous entourent. Comme le disait Adèle Haenel, ce ne sont pas des monstres, ce sont des hommes banals, qui n’ont pas toujours eu conscience de leur acte, qui manquaient de repères éducatifs sur le désir mutuel et l’importance de la communication, qui n’avaient pas forcément pleinement leurs facultés au moment de l’acte, mais toutes ces précisions ne les excusent pas. Il n’empêche, leurs voix, certes intéressantes, ne sont qu’une partie du patchwork qui met surtout en avant les femmes, celles qui ont souffert et se sont interrogées sur leur responsabilité, leurs envies, leur capacité à avancer, à ne pas être définies que par ce traumatisme qui ne dit pas toujours son nom. Le film est riche, interrogeant de nombreuses notions, mettant l’accent sur le fait que le viol n’est pas toujours perçu comme tel car trop souvent il a l’image de la violence physique extrême. Or le pire arrive parfois « sans frapper » c’est-à-dire à la fois sans invitation ni annonce mais aussi sans coups ni menace, par la force de la sidération, de la curiosité, ou simplement d’une voix qui n’a pas dit non, mais qui, plus important, n’a pas dit oui.
Un film majeur qui fait du viol un problème non pas individuel mais social, universel, qui nous touche tous et toutes de près ou de loin et auquel il faut collectivement s’atteler pour tenter d’éviter la poursuite de ce qu’Alexe Poukine appelle « une épidémie ».
Compte-rendu détaillé de la rencontre avec la réalisatrice à dérouler ici : https://twitter.com/Lilylit_blog/status/1220728908955508742?s=20
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