« Ma nuit », sœur absente, ville présente

Alice est morte à 18 ans. Cinq ans plus tard, alors que Marion a 18 ans à son tour, elle cherche à surmonter l’absence de sa sœur et à échapper au deuil envahissant que sa mère impose…

Après une longue et florissante carrière de directrice de casting, Antoinette Boulat se lance à la réalisation avec un premier long-métrage dont on attendait, forcément, une distribution des rôles particulièrement soignée.

On peut dire un mot des personnages secondaires, mais il sera forcément aussi rapide que leur apparition. Dans une nuit d’errance, de nombreuses silhouettes, parfois parlantes, viennent ponctuer le cheminement (aussi bien intérieur) de la protagoniste, pour la plupart sous une forme soit menaçante soit adjuvante, et on pourrait assez facilement les classifier par genre (les hommes poussent au défi, ne respectent pas le malaise ou la sensibilité, se montrent pressants voire agressifs, et même lorsqu’ils n’interagissent pas directement avec Marion, ils lui font peur ; les femmes évitent d’insister, s’inquiètent, questionnent, laissent de l’espace mais incluent, proposent leur aide, témoignent leur amitié quand bien même ce serait de façon maladroite). Seule Emmanuelle Bercot, en mère obnubilée par la disparue, tient une scène un peu plus conséquente, mais son unique apparition ne sert quasiment qu’à poser le cadre. On pourrait aussi saluer l’empathie hospitalière incarnée par Maya Sansa, soignant au-delà de la blessure physique apparente, et l’altérité sensorielle que représente Bakary Sangaré en colocataire sourd mais accueillant. En réalité, seul(e)s comptent Marion et Alex.

D’emblée, Marion est pour les spectateurs/trices le point de repère unique. Le visage de Lou Lampros, éclipsé derrière ses mains à la frayeur causée par une sirène, est un paysage dans lequel nous voyageons au fil des gros plans. La jeune actrice, aperçue en 2021 dans Médecin de nuit et De son vivant, trouve ici un rôle peu bavard, dont les phrases ne sont jamais futiles. Lorsque Marion parle, c’est pour interroger le monde, la disparition d’Alice, ses relations aux autres, l’état de la société et l’angoisse comme une ombre portée sur la vie de la jeunesse contemporaine. Lorsqu’elle se tait, ses expressions sont changeantes, de vestiges d’une joie de vivre enfantine à une mélancolie larvée. Une chose est sûre, Marion sait dire « non », et aime qu’on le remarque. Sa façon de s’opposer, aussi bien au programme maternel de la soirée qu’à celles et ceux qui souhaitent l’aborder ou la retenir, lui confère une forme de liberté en action qui s’incarne dans la déambulation nocturne. Elle veut traverser la nuit, comme s’il fallait ne pas dormir pour y survivre, comme si dormir, c’était mourir un peu. Et la caméra l’accompagne, seule d’abord, dans des quartiers parisiens rendus méconnaissables par le vide et les lueurs nocturnes, par le chant des oiseaux qui se surimpose au paysage urbain, par ces lieux qu’on ne voit plus beaucoup dans le cinéma contemporain, comme la statue du pont de la Tournelle, hiératique gardienne de celles et ceux qui veillent tard sur les quais.

Puis la caméra trouve un double en Alex (Tom Mercier), qui lui aussi suit Marion comme son ombre, sans que ses intentions soient d’abord très claires. Ange gardien peut-être intéressé, il lui apporte son regard sur le monde, un peu plus vieux de quelques années, et la synthèse de leurs différences et de leurs correspondances forme un espoir pour la jeune fille, celui d’une ouverture, d’un futur qui ne soit ni une rupture franche, ni une continuité identique. On se demande parfois un peu où va ce film, pourquoi s’embarrasser de ces débuts inconséquents, de la fête et de la fumette, alors que le cœur du sujet est après, dans la nuit tombée, là où les masques sont tombés. C’est un premier film, avec tout ce que cela comporte de fragilités, mais finalement cela convient bien à son sujet.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Créez un site Web ou un blog gratuitement sur WordPress.com.

Retour en haut ↑

%d blogueurs aiment cette page :