« Le goût des garçons » et le désir des jeunes filles

Au collège Notre-Dame de l’Annonciation, tenu par des religieuses, les jeunes filles de bonnes familles doivent filer droit. Mais les adolescentes ne rêvent que de premiers émois et de découverte sexuelle…

Autrice venue du Liban et installée en France en 2010, Joy Majdalani livre un premier roman dont l’ancrage géographique n’est jamais clairement nommé, mais qui pourrait tout à fait être son pays d’origine. Dans une ville faite de maisons luxueuses mais aussi d’appartements modestes, de différents établissements scolaires hiérarchisés entre privé et public en fonction de l’origine sociale des élèves, de parcs où les jeunes viennent abriter leurs amourettes et de la fameuse allée des Oliviers où les réputations se font et se défont, les protagonistes sont des jeunes filles dites de bonnes familles. Presque encore des enfants au début du récit, à l’orée du collège, et pleinement des adolescentes à la fin, en arrivant au lycée.

Loin d’être clairement découpé en fonction des années scolaires, le récit est mû par une autre dynamique, plus souterraine et mystérieuse, plus « hormonale » même. À travers la voix de la narratrice, nous ressentons de l’intérieur l’ébullition des sens qui s’empare d’elle à mesure que la puberté s’exprime dans son corps. Rarement un texte aura abordé aussi frontalement la question du désir féminin chez de très jeunes filles, encore des enfants au regard de la loi. L’image du jeune garçon découvrant la masturbation est couramment exploitée, celle de la jeune fille mouillant en échangeant des messages avec des inconnus ou rêvant de sucer sa première bite, beaucoup moins. L’autrice n’a pas peur de nous confronter à la réalité, celle d’une croissance qui touche tout le monde et d’un désir non-genré. Explicite et cru sans jamais tomber dans la vulgarité, le récit réussit à nous faire croire à la véracité de sa narratrice, à ses souhaits, à ses pensées, à ses amitiés et à sa rébellion.

Car ce qui explique qu’on entende moins parler du désir (et du plaisir) chez les adolescentes que chez leurs homologues masculins, c’est bien sûr une vision sexiste selon laquelle « l’homme propose et la femme dispose », sur la base de laquelle les jeunes filles du roman sont éduquées par les religieuses. On leur enseigne la pudeur, à renfort de sanctions pour des jupes trop retroussées, la peur des conséquences d’un rapport et la criminalisation de l’avortement avec des vidéos choquantes pleines d’embryons ensanglantés. Ce poids du secret et de l’interdit que les adultes font peser sur les jeunes filles se répercute sur les relations qu’elles entretiennent entre elles. Au lieu d’une sororité bien pensée qui leur permettrait d’échanger pour contourner l’idéologie prude des professeures, elles s’observent avec envie ou mépris, selon des critères fluctuants tels que la beauté physique, l’assurance sociale, la richesse de leur famille, leur participation à des soirées hors de l’école et bien sûr leurs relations (réelles ou supposées) avec des garçons. Entre les « insignifiantes » et les « Dangereuses », la narratrice accomplit son chemin, découvrant l’envers du décor du groupe le plus admiré et se forgeant au passage un avis sur l’appartenance et l’indépendance.

Ce petit livre plein de fièvre se lit comme un journal intime, avec un côté addictif mais aussi une part d’analyse sociologique sur le microcosme présenté. Il y a une audace parfois candide mais par certains aspects admirable chez la protagoniste qui nous attache à ses pas.

3 commentaires sur “« Le goût des garçons » et le désir des jeunes filles

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