« Milady la nuit » : la femme qui s’est enfuie

Dans un bar, Cyril et Paul rencontre Milady, une jeune hôtesse chargée de leur faire boire du champagne. Elle accepte de prolonger la soirée avec eux, et s’installe peu à peu dans leur appartement…

La Parisienne Laura Berg, adoptée depuis pas la côte ouest, a pour la capitale cette forme de fascination nocturne qui a souvent nourri le cinéma, et parfois la littérature. Dans Paris la nuit, à d’autres époques, on fréquentait les cercles de jeux clandestins, on assistait à des réunions politiques discrètes, on allait voir des films dans les catacombes, on restait debout entre militant(e)s d’une même cause. Mais dans le Paris intemporel de Laura Berg, qu’on peut en réalité dater du milieu de la fin de la décennie 2000 à la fin du récit, la nuit, on croise surtout ce que la sociologie appellerait « des marginaux ».

Cyril et Paul sont des amis de jeunesse, unis tant par les fois où ils se sont trahis que par celles où ils se sont soutenus, et par une vieille histoire d’accident qui a fait de Paul une sorte de chauffeur attitré. Refusant plus par paresse que par idéalisme de rentrer dans un système métro-boulot-dodo, ils ont choisi de vivre d’expédients et trafics, ce qui les conduit à une précarité permanente mais joyeuse. Opposés comme le jour et la nuit, Cyril le flambeur alcoolique et narcissique trouve toujours une astuce pour retomber sur ses pieds, quand Paul le rêveur le suit aveuglément, n’ayant comme seul source d’attachement autre que les poissons de son aquarium.

La rencontre avec Milady, Marie-Hortense de son vrai prénom, aurait pu constituer une mise en rivalité, mais c’est un ménage à trois qui se crée, sans que la plume de l’autrice n’en précise les contours. Narrée du point de vue de Paul, bien qu’en troisième personne, l’histoire prend la pudeur du jeune homme, qui contraste avec les milieux dépeints, par exemple celui des bars à hôtesses.

Par petites touches, ce qui semblait n’être que le récit ordonné de leur vie désordonnée devient un puzzle répondant à une enquête. Ce n’est pas seulement à nous, lecteurs/trices, mais aussi à la police que Paul raconte, faisant basculer le livre du côté du roman noir. Car la nuit qui a protégé les protagonistes finit par se lever, et en plein jour les turpitudes apparaissent, les egos blessés, les luttes de classe, les arnaques de tout poil, la possessivité jalouse, la rancœur tenace, l’hypocrisie sournoise, et tout ce qui vient mettre un terme à l’échappée rurale dont avait rêvé la petite troupe, Paul le premier.

Milady a beau être décrite d’une façon terre-à-terre et charnelle, il y a dans le personnage quelque chose qui échappe, et dans la fascination que lui voue Paul une certaine réminiscence d’œuvres cinématographiques telles que Virgin Suicides ou Mulholland Drive, alors même que le début pouvait plutôt laisser attendre une intrigue à la Jules et Jim.

À travers le regard de Paul sur Milady, c’est aussi l’autrice qui rend hommage à ses déclassés, ses personnes en marge de la société capitaliste qui tentent de vivre « la vie facile » quitte à payer un lourd tribut pour leur refus des codes et des lois.

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