Hélène, journaliste, a été contactée par un éditeur pour écrire la biographie d’une banquière. Elle décide alors de rencontrer Anna, une femme brillante qui a débuté sa carrière dans le monde des traders. Mais très vite, Hélène va comprendre qu’Anna a beaucoup plus envie de parler de sa vie privée que de son travail…
« Faut-il se forger une morale en fonction de ses émotions ? » interroge le bandeau qui ceint le nouveau roman d’Hélène Risser. Une interrogation qui aurait pu figurer dans les sujets du bac de philo, et qui m’a d’emblée attirée. Pourtant, de morale, il est au fond bien peu question dans ce roman.
L’interrogation principale que pose le texte est plutôt : peut-on régir tous les domaines de la vie humaine selon le même modèle que les rapports économiques ? L’intérêt du personnage d’Anna, c’est que, contrairement à ce que pense Hélène lors de leur rencontre, elle n’est pas une arriviste sans scrupule prête à ruiner les gens pour s’enrichir et à déclencher des krachs boursiers d’un claquement de doigts. Et si elle refuse de répondre aux questions précises de la journaliste concernant son métier, c’est avant tout parce qu’elle cherche elle-même la réponse. Pour Anna, ce sont les passions humaines qui ont dévoyé les règles du marché et c’est souvent la précipitation qui cause les crises financières majeures. Autrement dit, la part du mal, c’est le subjectif et l’émotionnel en l’homme, et non les lois du marché libéral.
Forte de cette certitude, la banquière s’emploie à prouver sa théorie en appliquant avec fermeté les règles de son métier… ailleurs. En premier lieu avec Hélène, avec qui ses relations sont un – habile ? – jeu de poker menteur. Mais aussi avec les hommes : son patron, Charles, son mari, François, puis ses amants. Sauf que la réalité est parfois plus complexe à gérer que les flux financiers…
Le titre du roman, bien trouvé, renvoie à cette « spéculation », ce jeu dangereux auquel s’exerce Anna avec les hommes, ainsi qu’aux nombreuses hypothèses fournies par Hélène, Charles et les autres sur la femme qui cristallise leurs fantasmes. « Spéculer », c’est ici à la fois risquer sa mise, compter sur le comportement attendu de ses semblables pour parvenir à ses fins, mais aussi, au sens étymologique du terme, observer. Car le plus original dans ce roman, c’est sans doute encore la construction en miroir qui fait des deux femmes à la fois des narratrices et des personnages vus en extériorité. Dommage que leurs personnalités ne soient pas plus profondes et que l’on en reste souvent à la surface.
Le thème, quant à lui, est assez à la mode, à l’heure où la crise est omniprésente dans les médias, où les banquiers font figure d’hommes à abattre et où l’on met ses amants dans un panier virtuel comme sur les sites marchands. Il y a dans le fond du propos des réminiscences de Houllebecq ; et la séduisante idée d’appliquer une théorie des jeux aux relations humaines m’a rappelé l’excellent roman de Sean Stuart O’Connor, The Prisoner’s dilemma (uniquement disponible en anglais à ce jour, hélas). Pas sûr que cela suffise pour que ce roman tire son épingle du jeu à l’heure de la rentrée littéraire…
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