« Pas de vagues » : leçon d’astéisme

Arrivé depuis peu dans un nouvel établissement, Julien fait étudier Ronsard à ses élèves de 4e, et tente d’établir une communication positive avec les jeunes. Mais un jour, il est convoqué par la CPE : la discrète Leslie a écrit une lettre l’accusant de harcèlement.

Depuis des semaines, la sphère cinéphile bruisse de l’arrivée de ce film dans les salles obscures. De l’enthousiasme à l’idée de dénoncer le manque de soutien de l’Éducation nationale envers ses agent(e)s, symbolisé par le #Pasdevagues qui donne son titre au long-métrage, à l’écœurement en découvrant une bande-annonce de thriller autour d’une fausse accusation de harcèlement envers un enseignant, puis au premiers retours presse évoquant un écart flagrant entre ce que le film pouvait sembler être et ce qu’il est réellement.

Avant de parler du long-métrage, on peut tout de même s’interroger sur le timing de sa sortie. Alors que la France semble se réveiller des années après le #MeToo américain grâce à la prise de parole de Judith Godrèche et à une soudaine mise en lumière de victimes, garçons et filles abusé(e)s et harcelé(e)s dans leur jeunesse, est-ce le moment idéal pour une histoire où l’accusation est erronée ? où la victime serait en réalité l’enseignant accusé à tort ? Il aurait peut-être été plus sain de décaler la sortie de quelques mois, de laisser entretemps la place à des récits qui correspondent à ce qui statistiquement est le cas qui arrive le plus souvent, celui où les faits sont malheureusement avérés.

Pour autant, en sortant à cette période, le film bénéficie de la possibilité d’un joli double programme avec La Salle des profs, où Leonie Benesch est une sorte d’équivalent du prof campé par François Civil : quelqu’un de jeune et très motivé par son métier, récemment arrivé dans un établissement où le corps enseignant semble déjà constitué en équipe, où l’apparence bon accueil de tous et toutes cache une promptitude à faire de la nouvelle tête le bouc émissaire au moindre faux pas. Tant il est vrai qu’en France comme en Allemagne, l’institution scolaire cherche toujours à se défausser sur plus petit que soi, et peine à protéger quiconque, personnel enseignant et élèves, face à la menace d’une montée en épingle interne ou médiatique. L’école est comme un microcosme de la société, les tensions et la violence inhérentes à celle-ci s’y retrouvent, les problèmes du dehors ne sont jamais laissés à la porte, mais le fonctionnement des classes en vase clos vient intensifier l’impression que les yeux sont partout, que les murs ont des oreilles, et que chacun et chacune s’apprête à balancer dans le dos des autres.

Plus qu’un film sur une accusation erronée, Pas de vagues est le récit d’une faillite collective, celle de l’Éducation nationale. Bien sûr à gérer les crises, mais au-delà, dans son incapacité à proposer à des jeunes gens une forme d’échappatoire par rapport à une destinée prétracée. Julien apparaît comme une figure noble en ce que, contrairement à la plupart de ses collègues, il a de l’ambition pour ses élèves et l’envie de les pousser à progresser, même si ses méthodes peuvent être contestables. La typologie de l’établissement et les rapports entre professeurs font un peu penser au film Un métier sérieux, mais là où on pouvait reprocher une paradoxale absence de vision politique du réalisateur d’Hippocrate, Teddy Lussi-Modeste s’appuie sur sa propre expérience pour ajouter au portrait individuel de son double de cinéma celui d’un système où chacun(e) tente de conserver ses petits privilèges, déjà réduits à peau de chagrin. Le scénario, co-écrit avec Audrey Diwan, a le mérite d’une certaine finesse. Au lieu de tomber dans les poncifs possibles par rapport à la situation initiale (par exemple faire de l’élève dénonciatrice une menteuse pleine de rancœur ou de jalousie), l’intrigue tire profit de celle-ci pour dresser une galerie de portraits vivants et utiliser sa tension façon thriller, nourrie par la musique de JB Dunckel, un rythme tenu, un joli travail de fausses teintes à la lumière, pour susciter le désarroi face à un engrenage qu’aucune bonne volonté ne peut plus arrêter.

La jeune Toscane Duquesne est émouvante dans sa peinture de l’adolescence comme bouillonnement intérieur rentré sous une opacité de façade, et François Civil face à elle sort un peu de ce qu’on l’avait déjà vu faire et capitalise sur sa sympathie naturelle pour nous embarquer dans une forme de descente aux enfers. L’intérêt premier du film, c’est peut-être de ne jamais complètement s’abstraire de son excellente scène d’ouverture, celle où s’appuyant sur un poème de Ronsard, l’enseignant essaie d’expliquer la notion d’intention à travers  l’astéisme, cette figure qui consiste à louer à travers le blâme. Le sujet premier du film est là, dans la question de la communication, des erreurs d’interprétations humaines, de ce que chacun(e) projette sur autrui ou voudrait que l’on projette ou non sur soi. L’estrade est une scène, la classe est un théâtre, chacun(e) joue un rôle et parfois enferme l’autre dans une image qui ne correspond pas au réel. C’est cet écart, entre les intentions et les apparences, les faits et les interprétations, les besoins et les non-dits, qui vient causer le drame, faire basculer l’histoire d’un poème léger à une tragédie antique. Au-delà de l’aspect terrible, de la cruauté du système, de la solitude des enseignant(e)s face à leur classe, et de l’absence de soutien de la hiérarchie mais aussi des institutions policières, judiciaires, Pas de vagues laisse passer de la lumière dans les interstices. Une larme en miroir, l’application d’un élève à muscler ses doigts pour améliorer sa graphie, une interprétation de texte pertinente, sont autant d’indices du respect et de l’affection du cinéaste pour le prof qu’il a été mais aussi pour les autres, celles et ceux qui continuent, qui croit encore à ce métier et aux capacités de leurs élèves.

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