« Post-romantique » : amicaliser l’amour

Et si la meilleure situation pour analyser l’amour romantique, ses origines sociales et sa place dans les sociétés occidentales contemporaines, c’était de ne pas l’éprouver ?

Aline Laurent-Mayard s’est fait connaître comme figure de proue de la représentation de l’asexualité en France. La journaliste et créatrice de podcasts a documenté sa propre réflexion sur son identité asexuelle et aromantique mais aussi sur sa décision et son parcours pour faire famille en tant que mère célibataire. Avec Post-romantique, elle s’inscrit dans le courant de réflexion féministe sur les modes de relation et la possibilité de faire évoluer ceux-ci de manière plus saine.

Son point de départ, c’est que l’amour au sens de l’amour romantique, celui qui fonde le couple, le plus souvent selon les normes et les représentations hétéro cisgenre et exclusif, sacralisé par l’institution du mariage, n’est pas un donné immuable et universel, mais une construction sociale relativement récente, datant du XIXe siècle. Bien sûr, les gens n’ont pas attendu cette époque pour tomber amoureux, éprouver des sentiments ou se marier. Simplement, le courant culturel romantique s’est mis à exalter le type de sentiments qui pouvait unir un homme et une femme et les pousser à contractualiser un engagement à long terme, qui ne soit plus perçu comme un mariage de raison ou arrangé. Le romantisme, comme l’explique l’autrice, est devenu la pierre angulaire de la construction d’une famille nucléaire très largement valorisée par le système capitaliste, s’appuyant sur le concept d’amatonormativité (que l’on doit à la chercheuse étasunienne Elizabeth Brake). C’est-à-dire l’idée qu’il est souhaitable de vivre une relation exclusive d’amour romantique, et que celle-ci doit être recherchée comme finalité.

Forcément, en tant que personne aromantique et asexuelle, l’autrice s’est retrouvée elle-même hors de la norme sans l’avoir choisi. La conscience apparue progressivement de sa singularité a été le vecteur d’une réflexion plus large sur la place de l’amour romantique dans nos sociétés et sur les autres façons dont il est possible de nouer des liens et de mener sa vie. Ainsi, le texte met très largement en avant d’autres types de relations humaines que le couple romantique, à commencer par la famille, nucléaire ou élargie. Puis l’amitié, qu’elle soit conçue comme un large cercle ou une toile d’araignée de relations ou comme un partenariat de vie platonique pouvant aller jusqu’à la coparentalité. Dans sa volonté de donner plus de place à d’autres types de relations, l’essai se retrouve proche de celui d’Alice Raybaud, Nos puissantes amitiés, allant même jusqu’à reprendre un exemple identique, celui d’un binôme d’amies ayant choisi de cohabiter et se pacser. Les deux textes ont en commun de s’appuyer sur des témoignages de personnes ayant trouvé des modes de vie perçus comme alternatifs, de largement évoquer la communauté queer comme précurseure dans ce domaine et d’envisager les possibilités matérielles favorables à une plus grande place des relations amicales, notamment autour de la question de l’habitat partagé. Davantage qu’Alice Raybaud, Aline Laurent-Mayard s’appuie sur sa propre expérience et le texte fait des allers-retours réguliers entre des situations qu’elle a vécues, des réflexions intimes, le récit de ses relations avec ses proches mais aussi d’autres témoignages et de nombreuses références littéraires et culturelles, dont évidemment l’incontournable bell hooks, dont « l’éthique de l’amour » nourrit largement le texte.

En dépit d’un côté très vivant dans le style, d’un certain humour et d’un sens de la formule (on retiendra notamment l’expression « amicaliser l’amour », employée dans le cadre d’un passage intéressant sur le polyamour), cette lecture pèche un peu dans le fait que les pistes de réflexion soient reléguées à une courte partie à la fin alors qu’elles auraient pu être davantage creusées pour faire du texte un essai plus engagé et politique, mais aussi par un souci de travail éditorial qui a malheureusement laissé d’importantes coquilles dans le texte (il est difficilement pardonnable de citer le Barbie de Greta Gerwig en écorchant régulièrement le nom de la cinéaste). Dommage car l’essai s’inscrit dans la toute récente collection « Nouveaux Jours » de sa maison d’édition, une initiative prometteuse.

Ouvrage reçu dans le cadre de la Masse critique Babelio.

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