« Le Dôme de la méduse » : menaces tentaculaires

En arrivant sur la prometteuse planète Tortue B, la mission d’exploration connaît plusieurs drames inexpliqués. Après avoir accusé plusieurs membres de l’équipage, dont Slow, la commande Sara McTeslin  finit par suspecter le Masterbot de l’Orca…

En à peine plus d’un an, Pierre Raufast nous aura gratifié de trois épais tomes de science-fiction. Sa trilogie baryonique impressionne par son envergure multidimensionnelle : se déroulant sur une longue période temporelle dans un futur pas si lointain, elle se construit autour de deux missions spatiales, au-delà de notre galaxie. Ce tome constitue le voyage retour de la mission d’exploration d’une planète prometteuse en termes de découvertes scientifiques. 

Au-delà de la résolution de l’énigme des morts inexpliquées du deuxième tome, qui faisait planer une forme de menace multiple sur les protagonistes et lorgnait du côté du thriller, l’essentiel du volume est consacré au déchiffrage du mystérieux signal capté sur Tortue B. Ce dernier opus fait réellement entrer la trilogie dans la lignée d’une littérature extraterrestre qui met en scène la découverte d’autres formes de vie et la possibilité de la communication avec celles-ci. On pense forcément à Premier contact de Denis Villeneuve lorsque l’équipe s’échine à décrypter des signaux entérinant la découverte de la vie hors de la terre. Mais forcément, le plus scientifique des grands narrateurs contemporains s’appuie sur une base mathématique complexe pour créer ce nouveau langage. Au fil du texte, on remarque une forme d’épure progressive : jusqu’ici spécialisé dans les digressions, l’écriture foisonnante qui vient mêler réel et imaginaire, nous apprendre des tas d’anecdotes dans de multiples domaines de connaissance, faisant réapparaître d’un roman à l’autre des éléments communs, de nombreux personnages secondaires, le récit finit ici par se concentrer autour de quelques thématiques et personnages principaux. Cette question de la menace fantôme qui planait dans le vaisseau est réactivée par le traitement du groupe anti-technologies, les Bernanos. Mais pour l’essentiel, on sent que l’auteur est plutôt fasciné par la science et la considère comme une source de créativité et de progrès plus qu’un danger. La preuve, avec cette forme de vie extraterrestre dont l’étude est considérée comme fondamentalement positive et que les humains cherchent à préserver dans une forme de bienveillance qui est peut-être l’élément le moins réaliste du récit.

On admire la maestria avec laquelle l’auteur clermontois parvient toujours à retomber sur ses pieds, réussit à tresser ensemble les différentes pistes et arcs narratifs avec un sens aigu du timing et du suspense. Cela dit, à mesure que les découvertes scientifiques s’enchaînent, le texte perd quelque peu de sa chair et de son humanité. L’intériorité des personnages, leurs émotions, leurs objectifs, paraissent traités de plus en plus rapidement. Les personnages deviennent des agents de l’action, presque des réactifs chimiques, des composantes permettant d’accomplir un dessein plus large. Le déplacement de focale sur des questions, notamment éthiques, concernant l’humanité tout entière, réduit en quelque sorte la place de chaque individu et l’importance de ses enjeux propres. C’est aussi dû à un art de l’ellipse, qui choisit de ne pas se pencher sur des moments dramatiques ou au contraire particulièrement joyeux qui aurait pu constituer de grandes attentes pour les lecteurs et lectrices. Cet effet de dilution contribue à l’impression d’infiniment grand presque vertigineuse qui nous saisit en concluant le texte, et en regardant en arrière comme le symbole final nous y invite. 

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