« L’Ourson » : traverser l’écran

Le lendemain de la mort de François Truffaut, Anne, employée d’une photothèque, tombe nez-à-nez durant sa pause déjeuner avec Orson Welles, qui l’invite pour lui confier une mission relative à son prochain film…

L’autrice Chantal Pelletier s’inscrit en partie avec ce roman dans la lignée des textes qui rendent hommage à un âge d’or du cinéma américain, tel que Scarlett il y a un an. Le titre est un amusant surnom pour Orson Welles, monstre sacré du cinéma mais aussi de la mise en scène théâtrale, dont l’œuvre est évoquée par petites touches au fil des pages.

En réalité, le cinéaste n’est pas le personnage central du récit, il apparaît plutôt comme une figure quasi fantomatique qui viendrait hanter les pages, une présence tutélaire à la fois rassurante et dangereuse, à l’instar de sa carrure imposante et de sa façon de dévorer des plâtrées de nourriture, qui peuvent faire de lui une forme d’ogre de conte aussi bien qu’un bon vivant convivial. L’ambivalence du personnage est d’autant mieux mise en valeur qu’on ne le perçoit que par les yeux de la narratrice, une fervente passionnée de cinéma et admiratrice de l’œuvre de Welles en particulier, semble-t-il, même si on lui découvre par la suite d’autres films cultes.

La construction du récit est particulièrement originale, découpée en cinq « carnets » rédigés par Anne, la protagoniste qui travaille dans une photothèque. Ceux-ci sont commencés de façon chronologique successive, mais elle continue à les remplir thématiquement en parallèle. C’est ce qui donne un côté puzzle à l’ensemble, avec des passages courts et non datés dont on ne peut pas toujours savoir s’ils sont censés avoir été écrits avant ou après d’autres éléments des carnets suivants.

Quelque part, cette méthode de présentation des faits est brillante car elle s’accorde avec le fonctionnement de l’esprit, par associations d’idées et souvenirs marquants. Si Orson n’est jamais saisi que dans l’imaginaire d’Anne, elle-même ne nous est donnée qu’en différé par rapport aux événements qu’elle vit, lorsqu’elle prend le temps de les consigner dans ses carnets. Tout le texte est donc d’emblée réflexif, ce qui lui donne une grande profondeur et une part de mystère et de décalage, comme si quelque chose devait nous rester définitivement inaccessible.

Peu à peu, on comprend tout de même que la narratrice a connu une rupture marquante dans son enfance, après laquelle elle s’est réfugiée dans son amour du cinéma. Personnalité singulière, bouleversante aussi bien dans son analyse de ses failles et de son manque de perspectives que de ses enthousiasmes artistiques, Anne est confrontée à un élément perturbateur dans son quotidien lénifiant avec l’apparition d’Orson, que celle-ci soit réelle ou fantasmée. L’art, littéraire ou cinématographique, aide à supporter la vie, certes. Mais peut-il suffire à la remplacer ?

 

Laisser un commentaire

Créez un site Web ou un blog gratuitement sur WordPress.com.

Retour en haut ↑