Les Patriotes – rétrospective Sandrine Kiberlain
Ariel quitte Paris et sa famille pour s’installer à Tel Aviv. Recruté par une cellule d’espionnage liée au Mossad, il se retrouve en mission pour approcher un scientifique travaillant dans le nucléaire…
Après le succès de son premier film, Eric Rochant a les mains libres et un financement conséquent pour se lancer dans un projet d’envergure. Ce sera Les Patriotes, film d’espionnage qui préfigure son travail plus approfondi sur Le Bureau des légendes. Mais sans avoir l’étendue de plusieurs saisons pour déployer de nombreux personnages et arcs narratifs, le réalisateur parvient à faire entrer en 2h22 à l’image un scénario très dense qui permet de développer sur plusieurs années la carrière dans l’espionnage de son protagoniste, Ariel (Yvan Attal, son complice des débuts).
Jeune homme motivé et probablement idéaliste lors de son engagement, qui se démarque d’emblée par une intelligence et une détermination sans failles, Ariel est immédiatement repéré pour faire partie d’une cellule qui se veut démocratique dans son fonctionnement, avec des rôles tournants indépendamment de l’âge et de l’expérience des agents. On le suit notamment lors de la première mission qu’il doit coordonner, à Paris, où il doit recruter un scientifique (Jean-François Stévenin) pour exfiltrer des secrets nucléaires. Cette première mission se trouve ensuite redoublée, comme en miroir, par celle qui le lie à un agent américain (Richard Masur) qui trahit son pays au nom de la judéité.
Grande fresque à l’écriture brillante mêlant introspection grâce à la voix off qui analyse a posteriori les actions du protagoniste, tension au fur et à mesure que les embûches s’accumulent, et un certain humour qui trouve une version sexy grâce au personnage de Sandrine Kiberlain, dont le petit jeu dangereux ne laisse pas de marbre Ariel, ni les spectateurs/trices (la fameuse réplique « ça vous a plu ? »). Pour son tout premier rôle, l’actrice avait fasciné Rochant aux essais au point qu’il l’impose contre l’avis de la production, qui espérait un visage plus connu au sein d’un casting international luxueux et hétéroclite (de Bernard Le Coq à Nancy Allen). Bien lui en a pris, car l’escort-girl qui n’apparaît que ponctuellement pour contribuer à ferrer les cibles devient par l’impression qu’elle laisse à Ariel le fil rouge du récit, réapparaissant – à tout le moins dans l’esprit du personnage masculin – à chaque rebondissement.
Aussi politique qu’intime, le récit révèle les dessous d’un monde où tous les coups ne sont pas permis, où contourner les règles peut se payer cher, et où parfois, dans l’interstice du devoir, le cœur parvient à s’exprimer.
Chien de la casse – compétition
Amis depuis le collège, Mirales et Dog sont liés par une relation de domination où le premier prend plaisir à rabaisser le second. Jusqu’au jour où une étudiante vient s’établir pour un mois au village…
Pour son premier long-métrage, Jean-Baptiste Durand pose ses caméras au Pouget, petit village de l’Hérault entre Montpellier et Béziers. Difficile de passer à côté de la cinégénie du lieu, entre ses ruelles tortueuses qui offrent un cadre parfait à une course-poursuite à pied, ses places circulaires permettant de se poser pour traîner et servir de cirque où se donner en spectacle, et ses environs secs et rocailleux comme un paysage de western. Premier personnage du film, le village est la condition qui réunit les personnages, qui ne savent comment échapper à l’ennui qui y plane. Pour s’occuper, on fume des joints et on tombe dans le trafic, on crée des embrouilles, on bavasse et on rêve d’ailleurs ou d’amour.
Dès la scène d’ouverture, la relation entre les deux protagonistes masculins apparaît comme toxique, car Mirales semble avoir élu comme occupation préférée d’embêter Damien, qu’il surnomme Dog. La tension est prégnante entre eux, et l’arrivée d’Elsa (Galatéa Bellugi) vient créer des remous dans cet équilibre installé où l’un maltraite et décide, et l’autre baisse la tête et encaisse. Le binôme composé par Anthony Bajon et Raphaël Quenard fonctionne bien à l’écran, à l’avantage du second qui réussit à créer peu à peu une forme d’empathie pour son personnage à première vue insupportable. L’acteur, qu’on commençait à croiser régulièrement au cinéma depuis trois ans, s’impose ici comme une vraie révélation avec ce personnage gouailleur, dont l’écriture brise les clichés : certes, il vient d’un village, deale du shit, traîne en survêt dans les ruelles, traite mal son ami. Mais il est aussi un fils aimant qui cherche à apporter à sa mère du réconfort, un voisin serviable envers les personnes âgées du quartier, et une âme sensible aux arts, en particulier à la littérature. Si les premières occurrences de citations amusent, on comprend peu à peu que sa culture n’est pas un saupoudrage mais le fruit de lectures solitaires composant un rapport autodidacte et singulier à l’écriture. Sa confrontation avec Elsa, au-delà d’une histoire de jalousie, est aussi une question de classes et d’image.
Ce qui humanise Mirales, c’est aussi sa relation avec son chien, Malabar, un pitbull qu’il traite avec un amour paternel, lui chantant une berceuse ridicule de sa composition et soignant son éducation. Dressé à la perfection, l’animal offre au film des plans touchants où son regard semble en dire plus long que les conversations des humains incapables d’une communication sincère et non empêchée par la pudeur et le besoin de se présenter comme « un bonhomme ».
Tigru – compétition
Vétérinaire, Vera doit superviser l’endormissement d’une tigresse qui doit subir des examens médicaux… Le même jour, elle surprend son mari avec une jeune fille…
Ce film roumain d’Andrei Tănase prend un cadre original, celui d’un zoo, en suivant la vétérinaire associée à l’établissement, au croisement entre sa vie personnelle et sa vie professionnelle. La jeune femme (Catalina Moga) est appelée pour s’occuper d’une tigresse prénommée Rihanna, qui doit être endormie pour subir des examens. Cette scène d’ouverture constitue une forme d’annonce de la fin du long-métrage, lorsque l’animal s’enfuit de son enclos et doit à nouveau être endormi pour pouvoir être rapatriée. Entre les deux, le film navigue dans un présent trouble, rendant perceptible l’état intérieur de la protagoniste.
On comprend assez rapidement que celle-ci a subi récemment la perte d’un nouveau-né, un drame d’autant plus difficile à surmonter que le bébé, décédé avant d’avoir pu être baptisé, n’a pas pu être enterré dans le cimetière selon les rites orthodoxes. À mesure qu’elle devient obnubilée par la réparation de cette injustice, Vera se retrouve confrontée à la façon radicalement différente dont son conjoint gère sa propre peine. Une crise de couple s’ajoute à la situation déjà compliquée, et quelques scènes en compagnie d’un jeune stagiaire laissent présager plus de trouble encore, sans que le scénario ne creuse cette piste. Sinueux et flottant, le long-métrage laisse une impression d’inachevé, comme si chaque aspect restait survolé, en dépit de la présence de scènes réussies tant émotionnellement que visuellement (le passage dans la forêt avec la blessure du mari, la scène au bord de la piscine).
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