Mattia et Alice se rencontrent au lycée. Il est renfermé et passionné de mathématiques, traumatisé par un secret d’enfance, elle est moquée par les autres filles pour sa boiterie…
Plus connu sans doute aujourd’hui pour son travail à la réalisation de la série L’Amie prodigieuse, Saverio Costanzo vient d’abord du docu-fiction, avant de passer par quelques longs-métrages parmi lesquels La solitude des nombres premiers, adapté du roman à succès de Paolo Giordano paru deux ans plus tôt.
La structure du film, co-écrite par l’écrivain et le réalisateur, déconstruit l’ordre narratif du récit pour éclater l’intrigue entre l’enfance, l’adolescence, l’entrée dans l’âge adulte des personnages. Alice est incarnée tour à tour par la petite Martina Albano, la jeune Arianna Nastro puis Alba Rohrwacher (Le Meraviglie, Lazzaro Felice), tandis que Mattia est d’abord Tommaso Neri, puis Vittorio Lomartire et enfin Luca Marinelli (Martin Eden). Difficile au départ de s’y retrouver, et la sensation de confusion perdure assez longtemps dans l’intrigue. C’est en parti voulu, car l’histoire repose sur les secrets que gardent les personnages, qui se sont construits à partir de graves traumatismes d’enfance qui les poursuivent sans répit. Mais c’est aussi lié au montage qui fait la navette de façon rapide entre les différentes époques et les deux trajectoires des personnages, pas si parallèle qu’il ne nous le fait croire au milieu du récit.
L’esthétique du film emprunte aux codes du giallo, faisant de ce drame un quasi film d’horreur dans certains passages. Les éléments naturels sont les ennemis des personnages (neige, brouillard, pluie), de même que certains éléments artificiels comme les lumières ou la musique des fêtes qui constituent des moments particulièrement angoissants, la cruauté du destin s’incarnant dans les rires hystériques d’adolescentes moqueuses ou dans la face grimaçante d’un clown. Le quotidien devient cauchemardesque dans les souvenirs traumatiques des protagonistes qui ont muré leur souffrance dans le silence, y compris l’un envers l’autre, comme on le comprend lorsque la mère de Mattia (Isabella Rosselini) se rend compte qu’Alice, la meilleure amie de son fils, n’a jamais entendu parler de la petite Michela. La famille contribue à la douleur des protagonistes, avec des comportements problématiques et dysfonctionnels, une culture du secret ou de la performance, des couples qui ne parviennent pas à s’accorder autour des particularités de leurs enfants.
Il pèse sur ce film une chape de plomb que rien n’allège, à peine la complicité qui se noue entre Mattia et Alice, surtout palpable lorsqu’ils sont jeunes adultes. Le réalisateur fait travailler les comédien(ne)s avec leur corps entier pour incarner les souffrances des personnages : la boiterie d’Alice, source des moqueries, son tatouage qui ancre sa naïveté d’adolescence dans sa peau, puis sa maigreur extrême qui reflète le laisser-aller au désespoir ; les cicatrices de Mattia qui peu à peu colonisent son corps comme pour le punir de la faute originelle, la barbe et les kilos qui viennent le cacher aux regards extérieurs. Écorchés vifs presque au sens propre, ces deux êtres enfermés dans leurs douleurs composent une valse sur la solitude impossible à briser, les maux des corps reflétant ceux des âmes. Énigmatique jusqu’au bout, le film n’offre que très peu d’espoir, et nous entraîne avec onirisme dans la spirale infernale des PTSD et dépressions causées par les grands chocs de la vie. Un film ardu dans sa forme et terrible dans son fond.
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