John se démène à la ferme depuis que son père est diminué par les séquelles d’un AVC, et se saoule tous les soirs quand il ne couche pas avec des inconnus. Son père recrute Gheorghe, un intérimaire roumain, pour les aider pendant l’agnelage…
Parfois, il y a des films que j’ai tellement envie de voir que je me les garde en réserve, repoussant leur découverte comme un petit plaisir dont on sait que la saveur sera meilleure après l’attente. Jusqu’au moment où j’en viens à me demander si je ne vais pas être déçue.
C’est ainsi que j’ai exhumé Seule la terre de ma liste à voir, le piochant sur la plateforme numérique de ma médiathèque en sachant que ce serait quitte ou double. Mais tant qu’à faire, je préférais être fixée sur celui-ci avant d’aller découvrir Ammonite, le prochain film du réalisateur (à Deauville si les conditions le permettent).
J’ai eu un peu peur au début de ne pas m’attacher à ces personnages très silencieux, et en particulier à John (Josh O’Connor, vu dans Emma.), qui tous les soirs boit son mal-être jusqu’à le vomir au réveil. Mais Francis Lee est malin. Il sait adapter sa caméra et diriger ses acteurs pour que l’évolution visuelle et psychologique coïncide et embarque ainsi les spectateurs/trices. Les paysages du Yorkshire paraissent d’abord assez hostiles, battus par les vents et la brume, et les rapports humains sont à l’image de la dureté des conditions de vie et de travail : très peu de dialogues, uniquement de brefs coups d’œil pour marquer son intérêt ou sa désapprobation, des contacts physiques brefs et sans douceur, même dans l’intimité sexuelle, des relations familiales réduites aux informations nécessaires à la marche de la ferme. La vie est éreintante et l’évasion impossible. Jusqu’aux prémices de rapprochement entre John et Gheorghe (Alec Secareanu), j’ai craint que le film n’en reste à cette vision crue et assez animale de la vie, où celle des hommes se rapproche de celle des vaches et des brebis, simplement mue par des instincts vitaux.
Heureusement, l’atmosphère se réchauffe, à commencer par des éclairages plus doux, des lumières plus dorées, qui rendent les peaux moins marquées et blafardes, et allument des étincelles dans les regards. C’est une deuxième partie qui commence dans le film, dans laquelle les difficultés seront différentes, corrélées désormais pour John à la prise en compte des autres dans ses choix : Gheorghe, censé quitter la ferme sous peu, mais aussi son père condamné à l’inactivité par sa santé, et sa grand-mère. La scène durant laquelle son employé lui apprend l’humanité par le toucher est assez formidable, et dès lors on bascule dans le registre d’une romance contrariée par les habitudes de John qui reviennent volontiers au galop et les difficultés inhérentes à la situation économique critique de la ferme. Car mine de rien, le réalisateur livre aussi une réflexion sur les méthodes d’élevage, le rapport à la terre et aux animaux et la marche du progrès, incarnée par la transmission d’une génération à l’autre de l’exploitation.
J’imaginais que le film s’appesantirait davantage sur l’aspect LGBT et le regard que l’entourage peut porter sur un couple gay dans ce milieu rural, mais ce n’est finalement pas le cœur de l’intrigue qui se concentre majoritairement sur un noyau plus intime. Quoi qu’il en soit, j’ai obtenu du film la beauté et le frisson que je venais y chercher.
Votre commentaire