« Juliette au printemps » : sortir de sa boîte

Déprimée et atteinte de troubles du sommeil, Juliette, illustratrice de livres pour enfants, décide d’aller passer quelques jours chez son père. Elle retrouve sa mère, fantasque artiste peintre, et sa sœur aînée, engoncée dans son rôle maternel. La vente de la maison de la grand-mère est l’occasion d’exhumer des souvenirs…

L’adaptation de bande-dessinée commence à apparaître dans le paysage du cinéma français comme un genre à part entière. Un genre qui se caractérise souvent par une grande bienveillance à l’égard de ses personnages, point commun entre Lou!, Rosalie Blum, Les Algues vertes ou encore La Page blanche. C’est encore ce qui frappe en premier lieu dans Juliette au printemps, relecture cinématographique de Juliette : les fantômes reviennent au printemps (de Camille Jourdy, comme Rosalie Blum) par Blandine Lenoir. La cinéaste s’attache à conserver les personnages de la bande-dessinée tout en instillant des éléments récurrents de son travail de réalisatrice : l’importance de la transmission (on avait eu l’occasion d’en discuter avec elle à propos d’Annie Colère), le regard porté sur les corps, notamment féminin, et en particulier lorsqu’il déroge aux standards de beauté des podiums, la façon dont la famille peut à la fois être un soutien et un enfermement.

Il n’est pas anodin que Juliette fasse un cauchemar dans lequel son père l’enferme dans une boîte en carton. Cette famille semble avoir comme fonctionnement premier d’avoir installé chaque membre dans une case, une petite boîte bien fermée dont il est si difficile de s’extraire. La mère est l’absente, l’égoïste qui s’est consacrée à son art et à ses aventures sexuelles davantage qu’à son foyer et à ses filles. L’aînée des enfants, Marylou, la fille forte, solide, manuelle avec un sens pratique qui s’exprime dans le choix de son métier de coiffeuse, celle sur qui l’on peut compter et qui répondra toujours présente, mais qui essuie une forme de mépris de n’avoir pas exprimé une sensibilité artistique majeure. Quant à la cadette, Juliette, elle est la sensible, la fragile, celle qu’il faut protéger et pour laquelle on a tenté de créer les conditions pour qu’éclose son art, puisqu’elle est désignée comme héritière de la lignée maternelle. Il y a la grand-mère, dont la cage prend la forme d’une chambre dans une maison de retraite. Cette impression d’enfermement, chaque personnage tente de lutter contre avec ses propres moyens. La caméra de Blandine Lenoir, soutenue par le montage d’Héloïse Pelloquet, et la bande-son de Bertrand Belin, les accompagne avec empathie dans leurs tentatives d’échappatoire. Celles-ci peuvent se matérialiser à la fois dans les actions concrètes des personnages (fuir la réunion familiale, prendre un amant…) mais aussi dans le travail sur le cadrage et le décor (les chutes du chat sont toujours l’occasion de détourner le regard vers le jardin par les baies vitrées, de même que le choix de la serre comme lieu d’ébats privilégié est une façon de jouer sur le caché et le dévoilé, de quitter l’intérieur de la maison dont le mobilier et les couleurs créent une sensation d’étouffement, mais aussi de revendiquer le regard sur son corps libéré). Et pendant que Marylou cherche à regarder dehors, là où l’herbe semble plus verte que dans son couple et sous son toit, Juliette amorce un retour à l’enfance, retournant dans la maison de sa grand-mère, cherchant à en entendre à nouveau les sons, à toucher les objets avec lesquels elle a grandi, et rejoue dans l’adoption d’un petit animal le drame secret qui la ronge à son insu.

 

Bien équilibré entre les arcs narratifs des différents personnages, le film sait aussi mettre très en valeur tous/tes ses interprètes. Noémie Lvovsky et Jean-Pierre Darroussin y trouvent des partitions assez conformes à leurs images habituelles, elle dans l’énergie et la fantaisie, lui dans une tendresse incapable de s’exprimer avec des mots. Salif Cissé brille encore une fois par sa capacité à faire contraster sa stature imposante avec une infinie délicatesse de jeu pour constituer un repère, de film en film, de masculinité non toxique. Quant à Izïa Higelin et Sophie Guillemin, elles émeuvent toutes deux par leurs trajectoires de femmes empêchées, érigées en opposées par le récit familial et qui tentent tant bien que mal de reconstruire chacune sa place, hors de la boîte.

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