Cannes 2024 – The Shameless, The Hyperboreans, Une langue universelle

The Shameless – Un certain regard

Après avoir poignardé un client, une jeune prostituée doit fuir Delhi. Réfugiée dans le sud du pays, elle se fait appeler Renuka et rencontre la fille adolescente de sa logeuse…

En dépit de son titre, qui fait probablement référence à la force de caractère de sa protagoniste, prête à tout pour sauver sa peau, et assumant de bout en bout ses désirs, à commencer par celui qu’elle éprouve pour une jeune fille de 17 ans, qu’elle est bien décidée à séduire et à embarquer dans sa cavale, The Shameless de Konstantin Bojanov est pourtant quelque part un film sur la honte. Celle d’un système de prostitution corrompu où les hommes se croient permis tous les abus, même lorsqu’ils sont dépositaires des forces de l’ordre, et où les femmes se font complices, prêtes à vendre la virginité de leur propre enfant au plus offrant. Celle qui étouffe la jeune Devika, tiraillée entre sa famille, la morale et le qu’en dira-t-on et sa fascination pour Renuka. Celle que l’on éprouve face à la perte totale d’humanité de la plupart des personnages, gangrenés par leur haine et leur obsession de l’argent. Cruel jusqu’au sadisme, bien qu’il choisisse par moment de détourner la caméra du pire, mais après nous l’avoir suffisamment suggérée pour que l’image non-présente à l’écran nous reste tout de même en tête, The Shameless se caractérise par sa brutalité, sa noirceur qu’aucune espèce de lumière ne vient jamais alléger, pas même visuellement, dans une esthétique de la pauvreté, des bas-fonds, un éclairage sourd que rien ne vient jamais clarifier.

The Hyperboreans – Quinzaine des cinéastes

Une actrice et psychologue raconte la façon dont le film qu’elle tournait avec deux réalisateurs autour de l’histoire d’un de ses patients, entendant des voix, a disparu mystérieusement…

C’est certainement l’un des films les plus bizarres de la Quinzaine 2024 : le duo de cinéastes chiliens Cristóbal León et Joaquín Cociña se met en abyme dans ce projet comme une boîte à multiples fonds. Est-ce un film sur la fuite des nazis en Amérique latine, imaginant Hitler survivant à la guerre pour venir y trouver refuge ? Sur la maladie mentale, les hallucinations et la fragilité qui pousse à l’emprise ? Sur la porosité entre la psychanalyse et la fiction ? Sur la difficulté à monter un film et le faire exister jusqu’au bout ? Bien malin(e) qui saurait s’y retrouver dans ce dédale porté par l’actrice Antonia Giesen. Film expérimental monté à partir d’une exposition à laquelle les réactions des visiteurs/trices ont été intégrées, ce projet entremêle une forme de mythologie adaptée à l’histoire chilienne et l’univers décalé des poèmes Miguel Serrano, autoproclamé représentant d’un « hitlérisme ésotérique ». Si vous ne comprenez rien, sachez qu’après avoir vu le film, rien ne sera vraiment plus clair. Si ce n’est le grand talent des cinéastes pour l’animation, ici portée par des marionnettes fabuleuses et constituant une forme de cauchemar sans couleur. 

Une langue universelle – Quinzaine des cinéastes

Un fonctionnaire désabusé décide de rentrer à Winnipeg, dont il est originaire. Pendant ce temps, un petit garçon perd ses lunettes, et l’enseignant suspend les cours de la classe jusqu’à ce qu’il les retrouve ou en ait d’autres. Une camarade décide de l’aider… 

Le cinéma canadien regorge de pépites au ton décalé. Avec Une langue universelle, on croirait se retrouver chez Elia Suleiman qui aurait traversé de l’Atlantique, direction Winnipeg. Comme dans It must be heaven, les personnages de Matthew Rankin paraissent se promener dans le décor sans trop savoir ce qu’ils font là, et on a l’impression d’assister à une succession de saynètes qui mettent du temps à constituer un véritable ensemble. Pas toujours facile de suivre les différents arcs narratifs, à la fois celui du fonctionnaire revenant au bercail et ceux liés aux différents personnages locaux. Quelle est-elle finalement, cette langue universelle mentionnée dans le titre ? Le français que le professeur désespère d’apprendre à sa classe d’enfants issus de l’immigration ? L’argent qui permet de tout acheter, matérialisé par ce billet pris dans la glace que tous et toutes se disputent ? Ou le langage des fleurs, symbolisé par le crocus qui passe de main en main ? Film exigeant de par sa construction et sa tonalité, Une langue universelle laisse l’empreinte de sa petite musique se dérouler au-delà du visionnage.

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