1 mois, 1 plume, 1 œuvre : De si jolis chevaux (avril 1993), par L’Ourse bibliophile

La plume

L’Ourse bibliophile a accepté de sortir de sa tanière le temps d’une chronique par ici. Cette discrète blogueuse tout en humilité, installée dans la campagne auvergnate, propose des articles sur ses lectures, romans de toutes sortes ou bandes dessinées, mais aussi parfois sur les films qu’elle découvre. Elle s’est replongée pour nous dans une lecture d’adolescence…

L’œuvre

De si jolis chevaux - Cormac McCarthy - Babelio

« Ils longèrent la clôture et prirent à travers les vastes pâturages. Le cuir grinçait dans le froid matinal. Ils lancèrent les chevaux au petit galop. Les lumières disparaissaient derrière eux. Ils arrivèrent sur la haute prairie où ils mirent les chevaux au pas et les étoiles autour d’eux surgirent à foison de l’obscurité. Quelque part dans cette nuit vide d’habitants ils entendirent une cloche qui tintait et la cloche se tut comme s’il n’y avait jamais eu de cloche et ils arrivèrent sur le dais circulaire de la terre qui était la seule chose sombre sans lumière pour l’éclairer et qui portait leurs silhouettes et les projetait parmi les foisonnantes étoiles de sorte qu’ils ne se déplaçaient pas au-dessous d’elles mais au milieu d’elles et ils allaient sur leurs montures à la fois jubilants et circonspects, pareils à des voleurs débouchant soudain dans cette sombre matière électrique, pareils à de jeunes voleurs dans un verger lumineux, précairement vêtus contre le froid et avec dix mille univers entre lesquels choisir. »

Quand j’ai lu De si jolis chevaux pour la première fois, j’avais seize ans. Je m’étais cassée les dents sur La Route et après en avoir parlé avec mon prof d’histoire – vous savez, un de ces profs exceptionnels qui laissent penser que les Mr Keating ne sont pas que fiction – alors qu’on échangeait autour de nos rencontres littéraires ratées, il m’a mis entre les mains le premier tome de la Trilogie des confins.

Bien que dubitative face à ce qui ne semblait être qu’une histoire de western (pas mon genre de prédilection), je me suis lancée et là… quelle rencontre.

Évidemment, la rencontre se fait avant tout avec la plume de Cormac McCarthy, hautement reconnaissable. Une écriture sèche, quasi factuelle, faite de phrases saccadées aussi bien interminables (c’est plus frappant dans d’autres titres certes) et d’une économie de signes de ponctuation. Un rythme inhabituel qui se révèle hypnotisant. Une plume ciselée qui retranscrit aussi bien l’âpreté de cet univers que la passion et la beauté, aussi bien les jours ordinaires que les drames. Une narration terre-à-terre au milieu de laquelle surgissent des passages quasi lyriques, mystiques, autour de rêves de chevaux, des extraits presque hallucinés qui surprennent. Au-delà de toutes les intrigues, ce sont l’écriture de McCarthy, son souffle, la musique de ses mots qui m’embarquent, me happent, me fascinent à chaque fois.

Le récit semble sec de prime abord. On ne sait pas grand-chose des personnages, de leur passé, de leurs pensées, l’accès à leur intériorité est très limité : on apprend à les connaître par leurs actions, par leurs gestes et leurs quelques paroles. En quête de liberté, ils nous entraînent dans leur descente aux enfers car il semble que, dans ce voyage entre États-Unis et Mexique, les hommes sont voués à mourir ou, en tout cas, à souffrir dans leur chair, dans leur cœur, dans leur âme. C’est un univers dur dans lequel nous introduit McCarthy, mais un univers où la loyauté et l’amitié n’en acquièrent que plus de force. Les personnages ne s’épanchent guère, mais quelques mots sobres suffisent à tout dire de la perte, de la droiture ou de l’espoir.

Les femmes sont rares dans ce monde masculin, mais elles ne font pas tapisserie pour autant : elles sont libre-penseuses, tentent de s’affranchir des attentes sociales, de conserver une part de liberté, regardent le monde qui les entoure et le refusent, s’indignent.

Tout en racontant simplement ce qui est, le roman se révèle extrêmement sensoriel. On y renifle l’odeur du cuir des harnachements, de la sueur équine, du sang ; on se sent sale de la poussière des routes tandis que le miroitement du soleil ou les éclairs déchirant la nuit nous éblouissent ; on écoute les aboiements des chiens ou les brusques envolées d’oiseaux surpris par notre passage. Les paysages se révèlent majestueux à travers des descriptions vibrantes et ce périple à travers le Mexique se révèle aussi beau que terrible.

Ce livre est certes sanglant – quoique bien moins cruel que d’autres du même auteur –, mais également poétique : McCarthy, de son écriture épurée, si juste et si particulière, mêle avec maestria une mort omniprésente et une beauté contemplative dans ce roman initiatique au cœur du Mexique.

L’Ourse bibliophile

3 commentaires sur “1 mois, 1 plume, 1 œuvre : De si jolis chevaux (avril 1993), par L’Ourse bibliophile

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  1. Ah tiens, voilà un nom que je connais et un blog que je suis déjà 😉 Ravie de lire cette plume à nouveau, pour un roman qu’il faut absolument que je découvre !

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