Entretien avec Mikhaël Hers à l’occasion du Champs-Élysées Film Festival 2024

  • Nous sommes au Champs-Élysées Film Festival, festival de cinéma indépendant français et américain, ce qui m’offre une entrée en matière. Avant d’être cinéaste, quand vous avez commencé à aimer le cinéma, qu’est-ce qui vous a donné envie de faire du cinéma ? Avez-vous plutôt des influences françaises ou américaines ?

« Je ne suis pas un cinéphile »

M.H. : « Je suis venu au cinéma par le cinéma américain, plutôt. C’est le cinéma de mon enfance, j’ai grandi dans les années 80 avec tous les teen movies, et des films comme Star Wars, E.T., Stand by me… et puis mon père, qui est cinéphile, m’emmenait voir des vieux films américains au Quartier Latin, des Kazan, des Capra, des Mankiewicz, Lubitsch… Donc vraiment américain. Le cinéma français, vraiment très peu, très tard. Je ne suis pas ce qu’on appelle un cinéphile, je n’ai pas une grande culture de cinéma. Je ne suis pas arrivé au cinéma par la passion de la cinéphilie, j’y suis arrivé un peu bizarrement, je crois. »

  • Il y a une trace de cette culture anglo-saxonne dans vos films du côté de la musique. Vos personnages en écoutent beaucoup et en jouent parfois, souvent en anglais. Pourquoi ?

M.H. : « Ce que j’aime, c’est la pop music, donc c’est une tradition anglo-saxonne, américaine ou anglaise. J’aime aussi de la musique française mais je suis arrivé plutôt là aussi à la musique par les Beatles, les Beach Boys, tous ces groupes-là. »

  • Et vous êtes musicien vous-même ?

M.H. : « J’ai fait un petit peu de musique quand j’étais adolescent, mais je peux pas dire que je sois musicien. Mais j’ai toujours envie de musique, besoin de musique. C’est vraiment un besoin, contrairement au cinéma. Je n’ai pas de nécessité de cinéma au jour le jour, la musique j’en écoute vraiment depuis tout petit, tout le temps. C’est vraiment un carburant quotidien. Du coup ça infuse au moment de l’écriture. Chaque scénario que j’écris est plus ou moins associé à des musiques que j’écoute à ce moment-là. Et comme c’est une des choses les plus importantes pour moi dans la vie, ça se retrouve nécessairement dans les films. »

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  • Justement vous êtes invité par un musicien, Vincent Delerm, qui a choisi Memory Lane pour sa carte blanche. Ce n’est pas très étonnant finalement car la bande-son du film rappelle son univers musical. Est-ce que vous vous connaissiez ?

« J’aimerais que mes films soient pris comme des chansons »

M.H. : « À l’époque non, on s’est rencontrés il y a un an ou deux, à l’occasion des Passagers de la nuit. Il m’avait invité à l’un de ses concerts, on s’est rencontrés comme ça. J’étais extrêmement honoré et touché, parce que c’est quelqu’un que j’aime beaucoup, dont je suis la carrière depuis le début. Il y avait une forme d’évidence à ce que nos deux univers se rencontrent. J’aimerais que mes films soient un peu pris comme des chansons. Qu’on ait un rapport comme ça très sensoriel aux films, qui ne passe pas par l’intellect mais qu’on les aime par les sens comme on reçoit une chanson, voilà. iI n’y a pas vraiment à réfléchir, on est touché par une inflexion de mélodie ou pas. Et lui, j’ai l’impression qu’à l’inverse ses chansons sont un peu comme des petits films. Il y a des choses qui parlent en images, beaucoup. Et puis je pense qu’on a beaucoup de thématiques communes :  l’aspect sensoriel impressionniste, le temps qui passe, la vie, les sentiments… Je pense qu’on ne fait pas des chansons ou des films à sujet ou à thèse mais sur des choses un peu impalpables comme ça.  Donc je suis heureux que la rencontre se fasse en tout cas. »

  • Vous aimeriez travailler avec lui comme compositeur pour des futurs projets ?

M.H. : « Oui, complètement. Ce ne serait pas étonnant qu’on ait un projet ensemble un jour. Ça pourrait prendre plein de formes, pas forcément la composition d’une bande-originale. »

  • Je trouve que vous avez un autre point en commun avec lui, vous parliez d’impressionnisme mais je dirais une géographie particulière des lieux. On pourrait se promener en suivant les noms de lieux qu’il égrène dans ses chansons, et vos films tiennent aussi souvent de la promenade, de sentir des lieux, une atmosphère… Comment vous travaillez cela ?

« Les lieux sont souvent le point de départ de mes films »

M.H. : « Souvent, je pars de lieux que j’ai fréquentés par le passé, avec lesquels j’ai vraiment un rapport affectif fort. C’est souvent le point de départ de mes films, les lieux. J’ai un imaginaire d’histoires qui n’est pas très développé. Je pars souvent des lieux et à partir de là des histoires me viennent, des errances, des cheminements. Ils ont une prégnance, une importance assez fondamentale puisqu’ils sont là dès le début de l’écriture. C’est par eux que se génèrent l’action et les rapports entre les personnages. Donc très souvent on retrouve les lieux pour lesquels j’ai écrit, et parfois je chargeais tous ces lieux d’un rapport mémoriel et affectif fort, mais quand je plante la caméra je me rends compte qu’il n’y a pas forcément grand-chose. La caméra ne va pas forcément pouvoir retranscrire tout ce qu’ils suscitent chez moi. Dans ce cas-là je transpose ailleurs en essayant de trouver avec le chef-opérateur des lieux qui regorgent des mêmes impressions. »

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  • Comment travaillez-vous à retranscrire une atmosphère à l’écran, comme celle du Paris post-attentats dans Amanda, avec ce silence dans les rues ?

M.H. : « Ça tient beaucoup à la pellicule, parce que je tourne toujours en pellicule, à l’exception de mon dernier film car c’était beaucoup de nuit. La pellicule donne vraiment une chaleur, une texture, un grain qui est très particulier, qui donne une impression de proximité. Puis j’aime bien les lumières du soir qui sont des lumières chaudes qui baignent un peu les lieux et les paysages dans une forme de quiétude, de mélancolie. Ça tient au choix des moments pendant lesquels on tourne. On essaie de tourner au maximum avec les éclairages naturels à disposition. Donc à la fois le support et le choix des instants. »

  • On voit beaucoup vos personnages marcher, déambuler souvent à deux ou à plusieurs, et ce que cela peut générer sur leur conversation. Quels sont selon vous les vertus de la promenade sur les relations humaines ?

M.H. : « Moi j’aime bien marcher. Je suis passionné par les lieux, par les perspectives, je suis toujours frustré de ne pas saisir suffisamment de lieux que j’aime. Quand on est en mouvement, on peut dans le même plan saisir plein de perspectives, épouser vraiment tous les contours d’un décor qu’on aime. Et puis c’est vrai que, quand on marche, évidemment les choses sont moins posées. La parole se manifeste, se libère différemment. Il y a quelque chose de moins empesé, une légèreté je pense. Il y a une possibilité d’évitement à certains moments, ou bien au contraire de dire les choses parce qu’on ne se met pas forcément face-à-face. »

  • Pour le coup, ce sont des choses qu’on retrouve dans le cinéma français, ce type de conversation qui déambule, par exemple chez Rohmer…
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« L’Ami de mon amie », Éric Rohmer

M.H. : « Rohmer, pour moi, c’est un cinéaste fondamental. C’est vrai que jusqu’à l’adolescence je n’ai quasiment vu que des films américains, mais après le premier qui m’a interpellé aussi fort, c’est Rohmer. Que je n’ai pas compris tout de suite. Je suis tombé sur L’Ami de mon amie à la télé, je me rappelle. Quand on rencontre un cinéma ou des chansons ou des tableaux qui nous interpellent particulièrement, on se rappelle toujours de ce moment-là. J’ai senti qu’on me parlait, pourtant je ne comprenais pas tout, car c’est un langage particulier qui vous tient autant à distance qu’il vous embarque. Ça reste pour moi probablement le cinéaste français le plus fondamental. »

  • Au-delà des promenades dans vos films, il y a aussi des voyages, souvent dans des pays anglo-saxons. Est-ce que ce sont aussi des destinations que vous connaissiez déjà ?

« C’est un grand luxe de revisiter des instants de sa vie »

M.H. : « Oui tout à fait, ça me permet de réinvestir des lieux que j’ai aimés. Le cinéma c’est bien pour ça : ça peut permettre de revisiter les époques qu’on a quittées. C’est un grand luxe en fait, de se reconnecter à des instants de sa vie, tout en sachant qu’ils ne seront plus jamais les mêmes, mais de les revisiter au présent, avec ce qu’on est actuellement. C’est un grand privilège. »

  • Donc vous ne vous verriez pas faire un film dans un pays que vous ne connaissez pas avant ?

M.H. : « C’est plus compliqué. Parfois les contraintes de production font qu’on est amené à tourner dans une région. Jusqu’à présent non, car les lieux ont toujours été les points de départ de mes films et j’ai été accompagné par des producteurs qui ont bien compris ça et qui m’ont même poussé là-dedans. Pour l’instant j’ai du mal à envisager de faire des films dans un endroit que je ne connais pas. »

  • Si on se penche sur les titres de vos films, Memory Lane ça voudrait dire littéralement “le chemin de la mémoire” ou “du souvenir”, et Primrose Hill, “la colline aux primevère”. La primevère, c’est la fleur symbole de la jeunesse. Et finalement il y a beaucoup ça dans vos films, l’attachement au souvenir de la jeunesse. Est-ce que vous êtes nostalgique ? Est-ce que le cinéma c’est une manière de soigner sa nostalgie ?

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M.H. : « Non, je ne suis pas nostalgique car je ne suis pas tourné vers le passé. Je n’ai pas de regrets ou de culte d’un paradis perdu. Mais il y a cette phrase que je dis toujours, qui est « on est de son enfance comme d’un pays ». Je me sens constitué par un certain nombre d’émotions et de lieux de l’enfance et de l’adolescence et j’aime avoir la possibilité de les réinvestir au présent. La nostalgie, en tout cas c’est comme ça que je me définis le terme, c’est vraiment tourné vers le passé. J’ai besoin de liant dans le temps, c’est quelque chose qui est très important pour moi, de connecter les époques. Mais dans l’idée de les vivre au présent, c’est la nuance importante. J’aurais détesté faire un film entièrement tourné vers le passé. »

  • Un film d’époque ?

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M.H. : « Je l’ai fait avec Les Passagers de la nuit, c’est vraiment un film des années 80. Moi j’étais enfant dans les années 80, mais par la musique notamment, j’ai toujours mythifié cette période et regretté de pas pouvoir vivre les concerts des groupes que j’aime car j’étais trop petit. Donc là ça me permet en faisant un film de la vivre à un autre âge, par exemple en étant adolescent. »

  • Il y a une certaine continuité dans vos films, dans les thématiques mais aussi dans les acteurs et les actrices avec lesquels vous travaillez. Est-ce que vous composez une troupe comme on compose un groupe de musique ?

« Ils me font confiance pour que je les filme en train de grandir »

M.H. : « Oui j’aime l’idée du groupe. Le cinéma c’est quand même une activité qui est extrêmement solitaire pour la grande partie de nos vies. On écrit pendant des années… Le moment du tournage c’est un moment que j’aime beaucoup, qui n’est pas dénué d’angoisse et de doute, mais où j’ai besoin de sentir cet esprit de groupe, de collectif. Les films sont vraiment des œuvres collectives, ça paraît un poncif de le dire mais c’est le cas. Puis j’aime cette idée de retrouver les gens dans le temps, avec ces métiers qui sont précaires, atomisés… Savoir qu’on accompagne les gens dans le temps et qu’on est accompagné par eux, par exemple pour les acteurs, certains ça fait quinze ans que je les filme. On fait un bout de chemin ensemble, j’accompagne aussi leur chemin de vie, ils me font confiance pour que je les filme en train de grandir, de vieillir. C’est un beau témoignage, ça fait partie de l’essence presque documentaire du cinéma. C’est chouette que le cinéma puisse faire ça. »

  • Finalement il y a une grande fidélité dans vos films, à des lieux, à des acteurs et des actrices. Est-ce que ce n’est pas l’un des grands sujets de votre cinéma ?

M.H. : « Vous devez avoir raison. On ne me l’a jamais formulé comme ça mais c’est très juste. C’est un mot qui fait sens, la fidélité à ce qu’on a été, à ce qu’on a aimé… »

  • J’ai l’impression que, en retournant sur les lieux de leur enfance, en retrouvant leur famille ou leurs ami(e)s, c’est un peu la question que se posent vos personnages : à quoi rester fidèle ?

M.H. : « Sûrement. C’est une question qui est importante pour moi. C’est compliqué, dans la vie on est en mouvement, c’est une succession de changements, il ne s’agit pas de faire du surplace. Mais je trouve que la fidélité, à certains endroits, c’est important. Mais la fidélité d’une manière un peu métaphorique j’entends, au sens large. »

  • Il y a un lieu auquel je me sens personnellement très fidèle et que j’ai apprécié de voir représenté dans vos films, c’est la médiathèque.

« Les médiathèques sont des lieux tellement importants »

M.H. : « Ah oui ! Depuis mon enfance je suis connecté à ces lieux. Ils ont toujours compté. Je n’étais pas un rat de bibliothèque non plus, mais j’y suis allé avec mes parents, très tôt. Puis après j’ai travaillé en médiathèque. Ce sont des lieux que j’adore, tellement importants, tellement fondamentaux, où on trouve encore les objets, des lieux qui me touchent. »

  • Est-ce que vous pouvez nous dire quelques mots du prochain projet pour conclure ?

M.H. : « C’est toujours compliqué quand ce n’est pas encore arrivé mais je termine une écriture là, donc on va rentrer en production d’un film. Je mets souvent beaucoup de temps à formaliser l’écriture, puis quand je me mets à écrire ça va généralement vite, mais ça peut prendre un an, deux ans, tout un marasme où les choses ne s’incarnent pas vraiment dans des mots ou dans des séquences. Mais j’ai achevé un scénario ces semaines-ci donc il faut que les choses se montent. Tant qu’elles ne sont pas faites, ça reste assez volatile. »

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