« Empire of light » : pourtant il faut vivre, ou survivre

Le cinéma où travaille Hilary depuis des années, l’Empire, accueil un nouvel employé, Stephen, un jeune homme noir qui espère entrer à l’Université. Tous deux secourent un pigeon blessé trouvé dans une salle désaffectée du complexe…

Après le grand 1917, le retour de Sam Mendes était peut-être d’autant plus attendu que c’est la première fois que le Britannique livre une œuvre fondée sur un scénario qu’il a écrit seul de toutes pièces. S’inspirant de ses souvenirs d’adolescence et de ceux de ses ami(e)s de sa génération, mais aussi de femmes de sa famille pour le personnage principal, le film est écrit pour Olivia Colman, l’interprète de la protagoniste, qui bluffait régulièrement le cinéaste et notamment dans The Crown

De fait, si on a beaucoup lu que le film s’inscrit dans une tendance actuelle d’hommages du septième art à lui-même, difficile de ne pas considérer cet aspect comme secondaire. L’Empire est un cinéma, certes, et permet de découvrir une galerie de personnages et leurs métiers, du vendeur de confiserie au projectionniste (Toby Jones), avec des plans de passation de témoin autour du projecteur qui font forcément écho à Cinema Paradiso. Le décor de cet ancien complexe aux moquettes moelleuses et à la salle bien entretenue contrastant avec l’étage à l’abandon avec vue sur mer, dans une opposition de coloris et de lumières, n’est finalement tout de même pas beaucoup plus qu’un décor. L’Empire n’est le cœur du film que pour une raison : il est le lieu où Hilary passe le plus clair de son temps. 

Olivia Colman interprète avec nuances et intensité un personnage dont toute l’écriture a la finesse de ne pas l’enfermer dans le carcan de la maladie mentale à laquelle le monde entier voudrait la circonscrire. Son patron évoque un diagnostic à son sujet qui ne paraît pas correspondre à la réalité (sans doute plus proche de la bipolarité ou du trouble de l’humeur que de la schizophrénie) et le médecin ne parle que de son traitement au lithium. Tout concourt, et en particulier ce qu’en dit Hilary elle-même, à présenter sa souffrance et la singularité de ses réactions, excessives aux yeux des gens rangés qui l’entourent, comme le résultat de toute une vie de mauvais traitements et de douleurs en particulier causés pas les hommes qui se sont succédé dans sa vie. Du comportement de son père faisant éclater la sphère familiale, à celui de son patron qui prend pour acquis qu’elle obéisse à ses désirs et caprices, jusqu’à une ancienne histoire évoquée délicatement par un collègue, Hilary n’a vraisemblablement connu de l’amour que ses chagrins et des relations aux hommes que leur toxicité. Pourtant, elle garde une pureté et un élan, un enthousiasme et une passion intacts. Il y a dans sa façon de se donner toute entière à la rencontre qui se présente, de vivre pleinement l’histoire à l’échec d’emblée prédictible, quelque chose de rare et de sublime. Ce qui rend Hilary folle aux yeux des autres, peut-être, c’est qu’elle accepte de souffrir le martyre si c’est le prix à payer pour vivre avec intensité. 

Face à elle, Micheal Ward, représentant d’une jeune génération racisée inspirée par un mouvement musical de renouveau et de mixité, désireuse d’ascension sociale et de paix à une époque troublée par la montée d’une extrême-droite raciste incarnée par les skinheads prêts à toutes les violences. Un jeune homme à l’écriture également fine, pris dans ses contradictions, pas toujours droit dans ses bottes mais ne reniant pas ses attachements pour autant. Et puis il y a Margate, cette ville de bord de mer, ces paysages et ces ciels à la Turner, magnifiés par le travail de Roger Deakins. Et une bande-son associant les tubes de l’adolescence de Mendes à des nappes limpides de Trent Reznor et Atticus Ross, champions de l’émotion poignante et délicate. Et bien sûr le cinéma, ce lieu où quand la lumière s’allume, la vie des autres s’anime à l’écran, comme un cadeau qui nous rappelle la beauté de la vie. Empire of light est sans doute bien, après tout, une forme d’hommage au septième art. Mais aussi à ceux qui passent dans nos vies comme des comètes laissant derrière eux un bouleversement durable, et à celles qui doivent rester, et continuer à vivre, ou survivre. 

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