Pour la France – avant-première
Ismaël apprend le décès brutal de son frère cadet, lors d’un rite d’initiation à Saint-Cyr. La famille tente de comprendre ce qui a eu lieu et de faire son deuil…
Rachid Hami se rêvait réalisateur de longue date, ce qui l’avait amené à approcher Abdellatif Kechiche qui l’engagea comme acteur pour L’Esquive. Des années plus tard et un film plutôt feel-good, La Mélodie, à son actif, le cinéaste semble trouver le sens profond de son engagement dans cette voie professionnelle en racontant le destin de son frère Jallal, décédé lors d’un « bahutage », rite initiatique sportif sans vocation d’humiliation (par distinction avec le « bizutage ») de Saint-Cyr où il était étudiant en première année. L’idée d’un film sur leur relation fraternelle avait déjà germé dans l’esprit du réalisateur avant ce décès brutal, inspirée par leurs retrouvailles à Taïwan, qui constituent finalement une large partie du long-métrage, mais la mort tragique lui donne l’impulsion nécessaire pour faire du projet une réalité.
Scindé en trois parties qui s’entremêlent au montage, le film est moins une histoire sociale ou judiciaire (car l’issue du procès n’est même pas évoquée à l’écran), ni même un vrai réquisitoire contre l’armée, présentée d’une façon très nuancée, notamment à travers le personnage droit dans ses bottes de Laurent Laffite, qu’une chronique familiale. Celle-ci associe le présent, celui d’une réunion contrainte par les terribles circonstances entre Ismaël, sa mère, son petit frère et son père, aux souvenirs d’une enfance à Alger et d’un départ précipité en France pour fuir la violence, ainsi qu’au voyage à Taïwan qui constitue une sorte de parenthèse enchantée.
Chaque partie a son esthétique et sa tonalité propre : le présent clinique, digne et cruel, qui n’est pas sans faire penser à la posture adoptée par Rachid Bouchareb pour Nos Frangins, évoquant la responsabilité institutionnelle et la douleur de la famille, le passé lointain solaire et capté par le regard de l’enfance, légèrement déformant (effet rendu à l’écran par l’optique anamorphique) et le présent plus proche à Taipei, à la fois nocturne et coloré, introduisant un sens de la légèreté et de la fête dans une relation fraternelle gangrenée dès l’origine par la rupture parentale, dans laquelle chaque enfant a pris fait et cause pour l’un des parents.
Très émouvant de par son sujet, le film ne se complaît pourtant pas dans l’émotionnel, et sa tenue repose sur les prestations de ses interprètes, à commencer par le toujours excellent Karim Leklou, qui compose un protagoniste à la fois inquiétant de violence à peine contenue et touchant. Lubna Azabal et Shaïn Boumedine sont également puissant(e)s, mais l’ensemble est presque trop retenu et trop doux pour son sujet, manquant sans doute d’une vraie dénonciation des coupables, personnels et institutionnels.
Fifi – compétition
Sophie, 15 ans, dite Fifi, vit à Nancy dans une famille nombreuse et précaire. Lorsqu’elle recroise par hasard une copine d’enfance dont la famille s’apprête à partir un mois en vacances, elle subtilise les clés de leur maison…
Le premier long-métrage de Jeanne Aslan et Paul Saintillan tire peut-être de sa source autobiographique sa prégnante bienveillance, qui enveloppe ses protagonistes d’une tendresse rare dans le cinéma dit social en France. Certes, il est évident dès la scène d’ouverture, où le personnage de Megan Northam (qui continue de nous attacher à ses pas après Miss Chazelles et Les Passagers de la nuit) frappe son petit frère, que Fifi grandit dans une famille précaire et plus ou moins dysfonctionnelle. Mais cet environnement n’est pas uniquement celui des crises, de la débrouille et du risque permanent de coupure EDF. C’est aussi un lieu coloré, en témoigne les tenues aux teintes vives des sœurs (les deux aînées souvent dans des nuances de rouge, Fifi en bleu, vert ou jaune, comme si les couleurs chaudes s’associaient à une forme de sexualisation qu’elle est encore trop jeune pour pleinement embrasser) qui déborde de vie, de l’affection manifeste entre la mère et le beau-père, très tactiles, à la joie de vivre de la petite Nadia.
Dans ce bordel ambiant, la très serviable Sophie, toujours prête à faire une course quitte à voler les biens réclamés par ses proches, s’empare des clés de la maison vide d’une copine d’enfance comme si le lieu, d’un tout autre standing que son appartement surpeuplé, pouvait constituer une sorte d’îlot de calme. Là aussi, le lieu est coloré, mais dans des nuances vintage élégantes, les grands volumes et le mobilier indiquant d’emblée une situation financière très confortable, associée à la mention du métier de dentiste du père de famille. Alors quand Sophie tombe nez-à-nez avec Stéphane, le frère aîné de son amie, dans une mise en scène cocasse, c’est forcément un peu le choc des cultures.
Mais pas tant que ça, et c’est bien là que l’écriture est fine et maline. Le jeune homme paumé et un peu déprimé, incarné par un Quentin Dolmaire dont les inflexions désabusées et plaintives font merveille dans le rôle, n’est au fond pas si opposé à l’adolescente futée qui aspire sans vraiment se l’avouer à un peu plus que l’avenir tracé par ses aînées. Les dialogues ont l’intelligence de ne pas clairement s’orienter du côté de la romance, laissant flotter la perspective d’une amitié tendre faite de curiosité mutuelle et d’échappées estivales, souvent associées à la baignade. Le film est traversé par un instinct vital qui transcende les difficultés du quotidien et les déceptions, éclatant dans les plans de ses protagonistes à vélo, cheveux au vent. Et pourtant, il y a dans l’utilisation de la « Fantaisie en fa mineur » de Schubert (qui donne lieu à la plus jolie scène du film) une mélancolie latente qui coexiste, mais retenue. L’ensemble constitue un portrait d’adolescente et de jeune adulte doublement juste, à la fois par son ancrage social et géographique (on est loin de LOL et autres films parisiano-centrés) et par sa mise en lumière de personnages tiraillés et mus par des sentiments intenses mais subtils, exprimés avec une pudeur et un humour qui font tout le plaisir des spectateurs/trices.
Tengo sueños eléctricos – compétition
À la séparation de ses parents, Eva, 16 ans, annonce sa volonté de vivre avec son père. Mais celui-ci compose avec des problèmes de violence chronique…
Le premier film de la cinéaste costaricaine Valentina Maurel tire son titre d’un poème évoqué à plusieurs reprises dans le film et écrit par le père de la protagoniste. Ce personnage, présenté d’emblée dans l’un de ses accès de violence lors d’un trajet en voiture, est caractérisé par son ambivalence. Il est à la fois un père concerné par ses filles, avec lesquelles il apprécie de passer du temps et de faire des activités, ayant une fibre artistique qu’il cultive lors d’ateliers de poésie, et un homme habité par des pulsions destructrices qu’il peut tourner contre lui-même et contre les autres.
Le scénario est assez répétitif dans ses scènes de vie quotidienne, ce qui permet de mettre en scène le cycle de l’énervement entre les différents personnages, qui ont tendance à se qualifier mutuellement d' »invivables ». La caméra, très proche des acteurs/trices, permet de décrypter les émotions sur les visages et de nous donner une impression immersive pleine de tension. On mettra donc en garde les âmes sensibles car certaines confrontations sont violentes et l’ensemble procure un sentiment de malaise tenace, de moiteur sourde.
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