Festival Premiers Plans d’Angers 2023 – Comme une actrice, Stockholm, Unrest

Comme une actrice – avant-première

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Pour Anna, la cinquantaine, rien ne va plus : son rôle dans une série s’arrête, son mari lui refuse celui dont elle rêvait dans sa mise en scène et provoque leur rupture. Heureusement, elle a les mystérieuses gouttes d’une guérisseuse…

Pour son premier long-métrage, longtemps mûri, l’ancien directeur du festival du moyen-métrage de Brive se lance dans le genre fantastique avec un principe bien connu : celui d’un objet offrant à qui le possède un pouvoir à l’usage limité et aux conséquences terribles. Comme dans La Peau de chagrin, qui réduit au fil de ses utilisations et menace jusqu’à la vie de son utilisateur, les mystérieuses gouttes “anti-stress” s’amenuisent dans le flacon et font apparaître sur le corps d’Anna des ecchymoses plus nombreuses à chaque prise. 

Avec une économie de moyens remarquables, le cinéaste offre une histoire de métamorphose relativement crédible, aidé par la prestation d’Agathe Bonitzer dans un rôle double. Il instaure une ambiance glacée où les bleus prédominent, en particulier dans le décor du lieu de vie d’Anna, qui s’assombrit à mesure que sa protagoniste sombre dans le désespoir et l’addiction. 

Au-delà du frisson plaisant provoqué par la manipulation opérée grâce à ce pouvoir original, le film est tiraillé entre un certain manque de subtilité et de fluidité, en partie causé par l’usage de la voix off, procédé toujours délicat, et l’excellence de son idée de base, portée par une Julie Gayet investie. On sent que la comédienne tient au message qui sous-tend l’intrigue, celui d’une mise au placard à la fois professionnelle et intime des femmes qui atteignent 50 ans. Ici, Anna voit dans le même temps son emploi habituel cesser, le rôle de ses rêves lui être refusé en raison de son âge, et qui plus est pas son compagnon, avec qui elle a longtemps nourri le projet qu’il finit par accomplir sans elle. Et celui-ci de la quitter, manifestement avide d’autres désirs qui trouvent leurs objets dans des femmes beaucoup plus jeunes. Cette Anna, prête à tout pour récupérer l’homme de sa vie, y compris aux pires mensonges, souffrances et sacrifices, fait évidemment penser à la Claire de Celle que vous croyez. Les deux personnages ont en commun d’utiliser le pouvoir de la fiction, dont elles connaissent bien les ficelles, l’une en tant qu’actrice, l’autre en tant qu’autrice, et de refuser le renoncement que la société des hommes leur impose. Oui, à cinquante ans, on peut encore rêver de grands projets professionnels, et aimer passionnément… à la folie. 

La conclusion qui se déploie par strates successives permet d’envisager toutes les pistes, de la plus moralisatrice à la plus romantique, jouant avec nos attentes et notre point de vue sur les agissements d’Anna. Une façon intelligente de nous renvoyer à nos propres espoirs et nos propres jugements. 

Stockholm – rétrospective Rodrigo Sorogoyen

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Dans une soirée, un jeune homme est fasciné par une jeune fille à l’air triste. Il l’aborde et lui annonce qu’il est tombé amoureux d’elle et veut absolument la connaître…

Premier film parvenu en France du cinéaste espagnol, Stockholm, comme son titre ne l’indique pas, ne se déroule aucunement en Suède mais bien à Madrid. Le titre, qui peut faire penser au syndrome du même nom, ce qui sans être rigoureusement exact n’est pas totalement anodin, est une référence à la scène d’ouverture. Au sein d’une soirée, deux amis discutent, l’un évoquant les complications de son histoire d’amour avec une jeune femme sur le point de partir à Stockholm pour plusieurs mois. Si elle peut sembler banale et simplement destinée à offrir un contexte réaliste au début de l’intrigue, cette discussion est quelque part révélatrice d’indices sur le protagoniste masculin, quand bien même celui-ci semble ne faire que relancer son ami. 

La suite se présente comme un coup de foudre de comédie romantique, la caméra capturant le premier échange de regards lorsque la jeune femme se retourne, spectrale dans sa robe blanche, semblant susciter l’impulsion de la suivre. Le film se décompose ensuite en plusieurs parties, dont chacune opère une (r)évolution dans la relation naissante entre les personnages, et rebat les cartes pour mieux nous surprendre. À travers le comportement insistant et joueur du personnage masculin et la réserve mystérieuse de la protagoniste, le cinéaste parvient à créer des attentes multiples et à susciter une sensation oscillant entre un vague attendrissement ou un profond malaise. Ce qu’il nous donne à voir, ce n’est ni plus ni moins que “l’art de séduire” déployé dans un exemple qui en montre bien toutes les limites et tous les abus possibles. Javier Pereira et Aura Garrido sont brillant(e)s dans leur capacité à donner de multiples facettes à leur jeu, tour à tour sympathiques, inoffensifs, inquiétants, troublés. 

Le film interroge de façon flagrante la notion de consentement, mais plus subtilement aussi la sincérité et la cruauté parfois mêlés dans tout rapport humain, et en particulier amoureux. “On va jouer à un jeu”, propose le personnage masculin pour tenter d’approcher sa partenaire, et de fait l’ensemble de leurs interactions peut être perçu comme une forme de jeu dangereux, où l’un des joueur/euse(s) fixe les règles et l’autre les subit. Habile dans son placement des indices, le scénario laisse entrevoir la fin à plusieurs reprises, et parvient pourtant à nous faire croire en une multitude d’autres éventualités au fil des dialogues. L’art de la mise en scène, et en particulier du plan-séquence, qui s’est déployé dans toute la filmographie du cinéaste par la suite, est déjà très présent et maîtrisé pour parvenir à créer la tension dont il a prouvé être le maître. Sans trop en dévoiler, car savoir où il mène déflorerait l’impact du film, celui-ci constitue une réflexion rare sur nos interactions sociales, mais ô combien nécessaire. 

Unrest – compétition Diagonales

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Dans la Suisse du XIXe siècle, le quotidien d’une usine d’horlogerie est perturbé par le développement des idées anarchistes accru par l’arrivée d’un cartographe russe…

Le deuxième long-métrage du cinéaste suisse Cyril Schnäublin a une singularité qui rappelle 1001 grammes, celle de s’intéresser à un milieu de haute précision, non pas en matière de mesure des poids ici mais du temps, et d’y ajouter une rencontre improbable. Joséphine, jeune ouvrière, travaille à la confection du balancier, une pièce maîtresse des montres, qui donne au film son titre en langue originale (Unruhe, c’est le balancier). Quant à Piotr, c’est un voyageur qui a vu du pays et adopté les idées anarchistes. 

Dans des tonalités douces, champêtres et brunes, sans aucun coup d’éclat, l’esthétique du film est parfois étrange, notamment dans des plans larges où les personnages paraissent réduits, en particulier pendant la rencontre des protagonistes mais aussi lors de la fête où la tombola est tirée. Il semble y avoir un écart entre ce qu’on voit et ce qu’on entend, de sorte qu’on en vient à se demander qui parle. Cet écart contraste avec la thématique de la précision mais peut rappeler celui qui existe entre les quatre heures officielles appliquées dans la localité, ce qui instaure des problèmes de communication. 

Si l’on se perd pas mal dans l’aspect politique du film, qui semble manquer de scènes faisant le lien entre divers éléments, très elliptiques par moments, la façon de filmer dans des gros plans quasi documentaires le travail d’horlogerie traditionnelle est absolument fascinant. Ces images rares deviennent aussi poétiques que techniques, de même que les photographies des gens du coin en font quasiment des célébrités aux yeux de leurs collègues, l’image captée conférant une aura supplémentaire à la vie. 

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