Alma Viva – avant-première
Dans un village du Portugal, Salomé vit entourée de sa grand-mère et de ses oncles et tantes, alors que sa mère est en France. Lorsque l’aïeule décède, la petite fille est persuadée que sa mort est due à un sort jeté par une voisine…
La cinéaste franco-portugaise Cristèle Alves Meira présente son premier long-métrage, tourné dans le village où habitait sa mère au Portugal. Inspirée par ses souvenirs d’enfance dans la région, en particulier par les obsèques de sa propre grand-mère, la réalisatrice mêle au casting des acteurs/trices professionnel(le)s et des membres de la communauté locale qui l’ont vue grandir. Une affaire de famille jusqu’au bout puisqu’après avoir auditionné des petites filles pendant un an et demi pour trouver sa Salomé, elle finit par confier le rôle à sa propre fille, Lua Michel (découverte dans le court Palma d’Alexe Poukine).
Film estival écrasé par la canicule avec des plans en extérieur surexposé et marqué par l’ambiance festive des ruelles où se produit régulièrement un groupe de musique, Alma Viva joue sur le contraste avec des intérieurs très obscurs où la mort rôde partout. Dès la scène d’ouverture, une veillée funéraire, Salomé semble fascinée par le défunt. La réalisatrice met en scène un ensemble de rituels et de croyances autour de la vie après la mort. Ainsi l’enfant est-elle considérée comme un « corps ouvert » qui peut accueillir une âme perdue. Après la mort de son aïeule, le film fait basculer la fillette dans un univers semi-fantastique, une forme de réalisme magique discret qui n’est pas sans rappeler l’ambiance de Clara Sola.
Cependant en dépit du côté film de possession assez sombre, l’ensemble n’est pas dénué d’une forme de burlesque ou de grotesque qui apparaît dans les relations entre les adultes, marqué par des rancunes tenaces qui s’exprime dans les moments les plus inconvenants. l’ensemble exerce un sortilège où le peu de moyens a été utilisé avec intelligence pour brouiller la frontière du réel et de la fiction et nous pousser à croire aux éléments les plus tortueux et invraisemblables de l’histoire.
À mon seul désir – avant-première
Un soir, Manon pousse la porte du cabaret « À mon seul désir » et demande à faire un essai en tant que strip-teaseuse. Elle se prend au jeu et se rapproche de Mia, une de ses collègues…
Depuis son premier long-métrage, Fidelio, l’Odyssée d’Alice, en passant par son adaptation de Chanson douce de Leïla Slimani, Lucie Borleteau s’est intéressée à des personnages féminins forts dont les choix de vie constituent un refus d’entrer dans les normes. une fois encore, avec À mon seul désir, elle choisit de faire fi des attendus moraux et de nous présenter le personnage de Manon comme une jeune femme libre de faire ses expériences dans ce qui constitue une forme de récit d’apprentissage.
Le cabaret érotique constitue un univers fantasmagorique avec une narratrice qui tient le rôle de conteuse (Laure Giappiconi). C’est elle qui nous introduit dans notre découverte de ce milieu et joue avec nos attentes en énonçant l’impossibilité d’une histoire d’amour en ces lieux. Coscénariste et danseuse, l’actrice contribue à la vraisemblance des performances de l’ensemble des filles, dans ce temple du spectacle érotique où la créativité a toute sa place. En effet, chaque fille peut inventer son numéro, où l’effeuillage ou les rapports entre filles sont une part d’un show qui peut aussi se révéler poétique, politique, musical (la bande-son est d’ailleurs riche et éclectique).
Le regard féminin porté sur ce milieu nous offre un renversement du prisme habituel, qui fait des filles non pas des victimes d’un système mais, sans angélisme pour autant, des actrices de leur vie dont la nudité choisie tient les hommes en respect. La collaboration de la cinéaste avec Alexis Kavyrchine à la photo se poursuit après Chanson douce, et on n’est pas étonné de constater qu’en un an il soit passé par En corps et La montagne. Des films en apparence très divers mais qui ont en commun un travail de lumières bleutées et une façon de magnifier les corps dans une sensualité jamais vulgaire, même lorsqu’elle est la plus crue. On trouve aussi une façon de flirter avec la magie ou le fantastique, ici sous la forme de visions qui s’imposent à Manon, de corps dénudés répondant à son désir, moins sexuel sans doute que d’épure, de crudité et de simplicité, qui ne s’embarrasse d’aucun artifice et d’aucun réflexe de pudeur ou de moralisme.
Au cœur de l’intrigue, la relation qui se tisse peu à peu entre Manon et Mia est à la fois légère, tendre, sexy et déchirante. Louise Chevillotte et Zita Hanrot sont éclatantes de vie et d’envie, celle de profiter et d’inventer une relation qui leur ressemble, à l’abri des normes. Parmi les personnages secondaires, si Melvil Poupaud fait simplement figure de deus ex machina, Thimotée Robart compose un portrait intéressant d’homme tiraillé entre la vie qu’il a construite et la possibilité d’explorer d’autres formes de relation. Quant à Pedro Casablanc, il incarne l’âme discrète du cabaret, sa mémoire à travers la succession de générations de filles venues prendre pleinement possession d’elles-mêmes.
Magique, douloureux, sensuel, le film de Lucie Borleteau est une grosse surprise et a cette qualité rare de nous faire passer par toutes les émotions et sensations. Un cinéma généreux et farouche qui n’a pas peur de son sujet, ni d’interroger nos regards.
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