

Après un rendez-vous avec un producteur de théâtre dont elle a fui les avances, la jeune actrice Madeleine Verdier est accusée de l’avoir assassiné. Son amie et colocataire Pauline Mauléon se fait son avocate…
Quatre à la suite pour François Ozon, qui s’est de longue date spécialisé dans les adaptations. Et après Peter von Kant, il s’agit à nouveau de porter à l’écran une pièce de théâtre, cette fois-ci issue du large répertoire du binôme Georges Berr-Louis Verneuil, prolifique dans les années 30. Le cinéaste fait renaître sous nos yeux le Paris de l’époque sans lésiner sur les efforts de reconstitution, dans ce qui, de sa bouche même, constitue le troisième volet d’une trilogie féminine après 8 femmes et Potiche. Trois époques différentes (les années 50, les années 70, les années 30), et une esthétique qui a en commun de singulariser ses personnages par des looks très reconnaissables, chacun se voyant attribuer un camaïeu de couleurs et un style correspondant à une personnalité toujours très marquée. Forcément, en tant que personnages de comédie de mœurs, ceux-ci sont dessinés à grands traits, jouant avec plaisir du cliché et de l’exagération.
Moderne sans être anachronique dans son traitement de la condition féminine, Mon Crime, comme 8 femmes, explore les possibilités restreintes pour les femmes de la société française du passé d’obtenir une forme d’émancipation. La société patriarcale dans ses travers les plus vicelards est cette fois incarnée par le macchabée, un producteur qui ne doutait pas de son droit à suborner de jeunes actrices. Bien sûr, la situation fait penser aux origines du mouvement #MeToo, ce qui permet une double lecture du long-métrage, à la fois totalement ancré dans l’époque qu’il représente et provoquant des résonances dans la nôtre.
Au-delà de la victime du meurtre, véritable coupable de l’affaire Verdier, le film dépeint des rapports hommes-femmes gangrenés par les rôles assignés par la société patriarcale, une vision de la morale que chacun et chacune s’autorise à tordre suivant ses intérêts et un cadre légal (on est avant l’instauration du droit de vote des femmes) qui place celles-ci dans une douloureuse dépendance au père, au mari, ou à quiconque exerce sur elle un pouvoir financier. Sur ce sujet extrêmement sérieux, Ozon brode une comédie qui emprunte au film de procès et au film à suspense. Il offre une galerie de personnages secondaires truculents incarnés par un casting éclectique lorgnant du côté de la comédie populaire (Fabrice Luchini, Régis Laspalès, Dany Boon) aussi bien que d’un cinéma d’auteur, en particulier chez la jeune génération. Il confie de jolies partitions d’hommes troubles et troublés à sa propre révélation Félix Lefebvre (Été 85) et à celle de Guillaume Brac, Édouard Sulpice (À l’abordage). Mais c’est surtout l’extraordinaire duo féminin qui crève l’écran : rivales dans la course au César de la révélation féminine, Nadia Tereszkiewicz et Rebecca Marder campent ici un binôme complice. Et quoi de mieux que d’associer la fine fleur du renouveau d’un cinéma français réfléchi et concerné, dont la jeune filmographie dessine déjà une trajectoire consciente de la nécessité de représenter la pluralité et la force des vies de femmes à travers l’histoire, pour faire briller l’amitié et la sororité dans un procès qui n’est au fond que représentation artistique ?
Dans Mon Crime, la justice des hommes n’est qu’un simulacre, une scène de théâtre où il s’agit d’emporter l’adhésion du public comme celle des jurés, et tous les coups deviennent permis pour deux jeunes femmes précaires mais intelligentes, qui saisissent l’opportunité de faire avancer du même coup leurs propres ambitions et la cause de leur genre. Dans un film de morceaux de bravoure, de numéros d’acteurs/trices et de scènes de comédie franchement drôles, même si parfois à la limite du ridicule (en particulier avec Dany Boon et Isabelle Huppert), on retient les monologues jumeaux de l’accusée et de l’avocate, plaidant avec une ferveur à la fois jouée et sincère. Cette ambivalence permanente, entre candeur et duplicité, qui sied si bien au réalisateur habitué à flirter avec l’immoral et le problématique, nous laisse à la fois entièrement conquis(es) et presque mal à l’aise de l’être, ce qui fait l’intérêt et la profondeur de l’œuvre, au-delà de l’évidence divertissement qu’elle constitue.
J’aimerais bien le voir ; merci !
Sortie nationale le 8 mars !