Après le décès accidentel de leur mère, Léo et Nicolas sont envoyés dans un pensionnat huppé de Suisse, grâce à une bourse obtenue par le cadet, prodige du piano…
Entré en littérature par le genre de la nouvelle, avec un beau succès critique pour ses deux recueils, Raphaël Haroche propose en cette rentrée littéraire d’hiver un roman de saison, dont l’atmosphère, feutrée et froide, du moins en apparence, de l’internat d’excellence et le décor de montagne saison automne-hiver (le roman s’étend de la rentrée scolaire jusqu’aux fêtes de Noël) constitue un cadre glacé. On peut dire que cela coïncide avec une forme de cynisme, de détachement voire de cruauté que le narrateur s’applique à promener sur le monde qu’il découvre. L’adolescent, qui se veut endurci en comparaison de son petit frère, sensible et rapidement désigné comme souffre-douleur par l’ensemble de l’Institut, est un narrateur parfois antipathique, qui décrit ce qui l’entoure sans concession et n’hésite pas à rudoyer, au moins verbalement, quiconque tente de s’approcher de lui, et plus encore de lui offrir de l’affection, comme son frère ou sa grand-mère.
Cette carapace forgée par la solitude créée par le décès de sa mère, dans un accident où il était impliqué, et l’absence de son père, travaillant en Guyane au lancement de la fusée Ariane, ne va pourtant pas sans une forme de bouillonnement intérieur. En partie propre à l’adolescence, celui-ci s’accompagne de poussées d’hormones qui régissent les rapports du personnage à la fois avec les filles, perçues comme de potentielles partenaires sexuelles, et avec les garçons, éternels rivaux. Mais on perçoit aussi une part de colère rentrée sans doute liée au traumatisme de la disparition maternelle, probablement aussi à cette confrontation directe avec une élite économique hors sol, en comparaison de laquelle le jeune homme éprouve la honte cuisante de son milieu d’origine, symbolisé par sa grand-mère. Très réaliste dans la peinture d’un établissement scolaire où l’on martèle à des jeunes qui ont l’habitude que tout leur soit dû qu’ils sont le gratin du monde, le roman aborde avec mordant le gouffre qui sépare ces happy few du milieu d’origine des deux frères, pourtant pas si précaire si l’on en croit la situation de leur père qui peut tout de même leur payer des vacances au ski.
L’auteur excelle à nous faire ressentir les affres de son protagoniste, tiraillé à tous les niveaux. Désireux de s’intégrer, son petit frère si singulier ne peut lui apparaître que comme un handicap social, quand bien même seul à seul il éprouve pour lui une tendresse viscérale. Le mécanisme de harcèlement et le poids du groupe sont présentés avec impact dans une scène qui rappelle le film de Laura Wandel, Un monde, à un autre niveau scolaire. Ce tiraillement se présente aussi dans la relation avec Alexia, dite la tsarine, une jeune fille avec laquelle Léo se lie dès son arrivée et qui constitue pour lui à la fois un fantasme et sa seule amitié. Bien que perçue uniquement à travers le regard masculin qui n’hésite pas à la réifier, ce personnage féminin parvient à toucher en quelques dialogues, qui prouvent que l’extraction sociale n’est jamais un bouclier suffisant face à l’universalité des souffrances humaines, décuplées à cet âge de grands chambardements.
Douloureux et mal aimable avec son mélange de froideur et de vulgarité, Avalanche nous a à l’usure, à mesure que les postures s’érodent, que toute la complexité des personnages se révèle, laissant une impression tenace. Dans son rapport au deuil d’un parent, le livre peut également évoquer Le Lycéen de Christophe Honoré, autre traversée hivernale d’un jeune homme animé aussi bien par le désir que par le chagrin.
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