Baby Alone in « Babylon »

Dans les années 20 à Los Angeles, Manuel rêve de travailler sur les plateaux de tournage. Pour l’heure, dans une soirée qu’il organise pour un magnat du milieu, il rencontre Nellie, future star du grand écran, et raccompagne Jack, acteur au sommet de sa gloire…

Si l’ambition traverse thématiquement les films de Damien Chazelle, c’est sans doute parce que le cinéaste lui-même ne cache pas la sienne. Tournant autour d’Hollywood depuis son premier film, on aurait pu croire qu’il avait fait de La La Land son œuvre ultime sur la question, mais le réalisateur y retourne sous un versant plus historique, creusé depuis une quinzaine d’années et pour lequel il a décroché un budget colossal. C’est ce qui lui permet de se lancer dans une fresque aux multiples personnages principaux, aux nombreux personnages secondaires, avec pléthore de figurant(e)s et de décors impressionnants, le tout en 35 mm pour retranscrire l’impression d’anamorphose que la ville et les studios dégagent d’après lui.

Le destin de ces personnages s’avère presque un prétexte pour balayer une trentaine d’années d’histoire du cinéma américain, avec un focus particulier sur le tournant de la fin des années 20, et le passage du cinéma muet au cinéma parlant. Un moment qui avait déjà donné lieu à The Artist, et l’on retrouve l’arc narratif d’un acteur star dont le changement de technique marque le début du déclin. Avoir choisi Brad Pitt, icône emblématique d’un cinéma US qui semble aujourd’hui confronté, avec la désaffection des salles causé par la crise sanitaire et l’essor des plateformes, à une période de renouveau comparable à celle présentée dans le film, fait partie des excellentes idées de casting dont le film regorge. Celui qui tire le mieux son épingle du jeu, c’est sans doute la révélation Diego Calva : l’acteur mexicain constitue pour nous un point d’ancrage du début à la fin du long-métrage, une porte d’entrée dans un univers que nous découvrons avec lui. C’est aussi très nettement le personnage le plus pur dans ses aspirations et ses émotions. Lui qui n’est pas acteur mais toujours du côté de l’organisation, de la logistique puis du management des talents, ne saurait fausser des larmes comme l’époustouflante Nellie (Margot Robbie). Le personnage de la jeune femme est malheureusement peu approfondi, un comble sur 3h de film, et l’allusion à son passé douloureux en fait une sorte de Marilyn avant l’heure.

À la fois cri d’amour pour le cinéma et dénonciation des excès du milieu qui le fait naître, Babylon ne se prive d’aucune exagération, et étire ses scènes les plus choquantes jusqu’au grotesque ou à l’indigestion. Les aficionados du cinéma d’Õstlund devraient apprécier la profusion de fluides en tous genres, mais on peut s’interroger sur l’intérêt réel pour un cinéaste qui nous a habitué à une esthétique certes tourbillonnante mais toujours très belle et bien finie, de venir ainsi salir grossièrement son œuvre. On préfère nettement quand Chazelle fait du Chazelle, s’appuyant sur la partition de Justin Hurwitz et sur l’héritage de tous ses films précédents dont celui-ci semble constituer la somme. De Guy and Madeline on a Park Bench, il tire l’amour du jazz et ce personnage de musicien dont le patronyme, Palmer, est un clin d’œil direct au nom de l’interprète de Guy. De Whiplash, la façon de filmer la musique, le sang, la sueur et la violence des rapports humains dominants/dominés. De La La Land, l’exaltation d’un milieu où la fête ne s’arrête jamais, où chacun(e) espère cœur battant que « Someone in the crowd » (on repère d’ailleurs aisément un extrait de la mélodie qui revient à intervalles réguliers dans la bande-son du film) va changer son destin. Manuel comme Nellie sont au début du film « ready to be found » et c’est exactement ce qui leur arrive dans ce rise and fall dont les arcs narratifs pris individuellement sont somme toute assez classiques. De First Man, qui à première vue semble plus lointain, le réalisateur conserve le poids de la solitude existentielle qui écrase chaque personnage à son tour, à commencer par Georges, l’agent de Jack dont les peines de cœur constituent un running gag tragique. Pas forcément bien équilibré, généreux jusqu’à l’écœurement, Babylon est un film qui veut tout mettre en scène, tout montrer, jusqu’à ce patchwork épileptique d’extraits de classiques du cinéma. Comme s’il s’était agi de faire un film qui définisse le cinéma, son pouvoir, sa magie et tout ce qu’il dévore pour la produire. Une sorte de « Cinema Inferno » qui répondrait à Cinema Paradiso, non plus du point de vue de celles et ceux qui projettent et observent mais de celles et ceux qui jouent, produisent et réalisent. Si la maestria technique et les élans du cœur parviennent par moment à bouleverser, l’impression de trop-plein l’emporte. C’est peut-être l’objectif du film : être aussi détestable et insupportable qu’admirable.

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3 commentaires sur “ Baby Alone in « Babylon »

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  1. Je suis allée le voir hier et la BO est incroyable ! De même que le casting. En revanche, si le film réussi à me faire apprécier les scènes de fêtes orgiaques (en général, ça me laisse de marbre), son dernier tiers m’a semblé tirer en longueur et, si le début était un trop-plein de festivités, là, il y avait un trop-plein de drames et d’horreur. De même, je ne suis pas certaine que la profusion d’images du cinéma passé et à venir (pour les personnages de « Babylon ») m’a semblé inutile pour signifier l’hommage, le travail, l’évolution de cet art qu’est le cinéma. Ca n’en fait pas un mauvais film – au contraire, il est très bien – mais certains points n’ont pas parlé à ma sensibilité. Quoiqu’il en soit, un film à voir, ça ne fait aucun doute.

  2. Je pense que ce film ne fera pas dans la demi-mesure, je vois des retours qui crient au génie, d’autres, beaucoup plus mitigés ! En tout cas, il me tarde clairement de me faire une idée, début février pour moi 😃

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