Albert est payé pour s’occuper de Mia, petite fille née sans dents, à laquelle il confectionne tous les jours un dentier de glace qui fond dans la journée. Un jour, le maître lui annonce par téléphone qu’il va devoir lui amener l’enfant…
Lucile Hadzihalilovic nous a habitué(e)s à son intérêt pour l’enfance, et également pour les adaptations, en particulier avec Innocence qui combinait ces deux traits. Avec Earwig, elle s’attelle au roman d’un ami d’ami, Brian Catling (récemment disparu), au cœur duquel on retrouve un personnage de petite fille. Cependant, on n’adopte que peu le point de vue de Mia, bien que ce soit elle qui joue avec les perce-oreilles du titre. Ce que le film ne dit pas, c’est que dans le livre, Earwig est également le surnom d’Albert, le quinquagénaire taciturne et appliqué que l’on suit. La première demi-heure du film ne consiste qu’à dérouler le fil d’une journée-type de l’homme, rythmée par les soins à apporter à sa protégée et son étrange habitude d’espionner celle-ci en écoutant à travers le mur grâce à un verre. Paul Hilton, qui prête ses traits au personnage, est davantage connu comme acteur de théâtre ou éventuellement de série et apporte au grand écran un faciès relativement neuf mais extrêmement reconnaissable et expressif. Et il le faut bien, car les dialogues sont extrêmement rares et restent pour la plupart très factuels, comme au téléphone avec la voix masculine qui donne les ordres. Ainsi, pendant ses 23 premières minutes, le film est silencieux, simplement ponctué par des petits bruits du quotidien comme les claquements de dents de la petite fille, ainsi qu’une musique étrange associant le cristal Baschet aux ondes Martenot.
Earwig est clairement un film d’atmosphère, et celle-ci nous entraîne quelque part dans un pays d’Europe de l’Est après la guerre, dans une période et un lieu flous, mais dont l’univers peut faire signe du côté de références qui ont en commun le goût de l’étrange. L’allure des génériques de début et de fin a quelque chose des débuts du cinéma, mais aussi d’un univers de conte, plutôt façon sordide côté Grimm. On n’est pas loin non plus d’un gothique à la Poe, en particulier à partir de l’apparition du chat noir. Esthétiquement, l’immense manoir présent sur un tableau dans l’appartement et qui finit par s’incarner à l’écran a quelque chose d’imposant et de parfaitement symétrique qui fait penser au Grand Budapest Hotel de Wes Anderson, l’aspect coloré en moins. Il faut dire que la photographie est volontairement très obscure, dans des tonalités brunes ou froides, que viennent éclairer des lumières jaunes à la Jeunet qui font ressortir les traits des visages en gros plan d’une manière presque caricaturale. Le plan d’ouverture sur l’enfant mutique au visage maintenu immobile par tout un appareillage rappelle également un plan bien connu de Titane. Pour autant, on ne peut pas dire que Mia manifeste des tendances psychopathiques. Elle ne manifeste d’ailleurs jamais grand-chose, fait étonnant pour une enfant de cet âge, hormis à quelques moments où elle vient tirer par la manche son gardien pour solliciter son attention.
Dans cette atmosphère volontairement alanguie et bizarroïde, la répétition du même à un côté Jeanne Dielman assumé, qui fait attendre une explosion de violence. Or à partir du moment où celle-ci survient, dans une scène à la mise en scène peu claire, le récit paraît vraiment démarrer mais malheureusement devient totalement confus. On peut faire un film qui ne raconte rien, on peut vouloir garder une part de mystère et laisser aux spectateurs/trices une liberté d’interprétation. Le problème avec Earwig, c’est qu’on a l’impression que le scénario veut raconter quelque chose, qu’il y a une histoire chronologique passée cachée sous ce qu’on montre du présent. Bascule-t-on totalement dans le fantastique à partir de la rencontre avec la serveuse Céleste ? Ou toute l’histoire n’est-elle qu’une sorte de cauchemar symbolique ? On a beau suivre attentivement ce qui se passe à l’écran, le sens résiste, on n’arrive pas à recoller les morceaux de verre cassé, et pour finir, on doit bien reconnaître : on n’a rien compris.
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