« Nos soleils », c’est ma terre, qu’on n’y touche pas

La famille Solè cultive des pêchers en Catalogne depuis des décennies. Mais une histoire d’héritage les dépossède de leur terrain au profit d’un entrepreneur qui souhaite y installer des panneaux solaires…

Avec son deuxième long-métrage, récompensé de l’Ours d’or à Berlin, la Catalane Carla Simón rend hommage à sa propre famille, son grand-père ayant lui-même été cultivateur de pêchers dans la région où elle situe le film. Mais elle s’inscrit également dans une réflexion contemporaine sur le devenir de l’agriculture traditionnelle. L’idée de transmission d’une plantation très ancienne, de génération en génération, par un patriarche extrêmement attaché à sa terre et à ses arbres rappelle un autre film espagnol, L’Olivier, déjà très sensible et vibrant. Quant à la querelle qui oppose la dignité de cultivateur/trice ne rechignant jamais à la tâche avec un mode de vie beaucoup plus contemporain et ancré dans le capitalisme, il peut faire penser aux Citronniers, même si dans le film de Eran Riklis le conflit de voisinage était redoublé par un différend politique. On sent bien que le sujet est très prégnant et actuel en Espagne, puisque 2022 même nous a offert également As Bestas, les deux films ayant en commun de représenter la modernité qui s’oppose à l’agriculture traditionnelle à travers l’implantation de structures productrices d’énergie verte. Après les éoliennes chez Sorogoyen, ce sont ici les panneaux solaires qui viennent envahir la rive de la retenue d’eau où les petits-enfants de la famille Solè avaient pris l’habitude de s’amuser dans une vieille carcasse de voiture.

Le film a nécessairement un fond social et politique, qui s’exprime en particulier lors de la scène de la grève et du déversement des pêches face au supermarché qui a encore baissé les tarifs auxquels il les achète au producteur. Mais Carla Simón reste avant tout dans le registre de la chronique familiale. La famille, découverte in medias res au moment où elle comprend qu’il n’y a aucun papier attestant du transfert de propriété des terres cultivées au patriarche, si intriquée et habituée à la vie en groupe qu’on met du temps à comprendre qui est frère ou sœur, qui enfant au cousin. Les Solè, d’abord, sont présentés comme une hydre à plusieurs têtes, à plusieurs bras surtout qui cueillent en cadence les fruits en plein soleil. Les femmes et les enfants rejoignent les hommes pour avancer plus vite le travail et la solidarité semble être le ciment qui va petit à petit se fissurer à mesure que la date fatidique de la confiscation du terrain se rapproche.

À l’heure des choix, le chacun pour soi va-t-il d’un coup prédominer ? Le scénario permet d’interroger les comportements humains en situation de crise, et offre à l’ensemble des acteurs et actrices, tous/tes non professionnel(le)s, l’occasion de transmettre des émotions fluctuantes, parfois ténues, à d’autres moments radicales. Si la mise en scène fait primer la sobriété, avec toutefois un beau travail sur les contrastes intérieur/extérieur, jour/nuit , où le soleil rime avec solidarité et la nuit ou la lumière artificielle avec les doutes individuels, c’est surtout la direction d’acteurs et d’actrices qu’il faut saluer, qui réussit à préserver l’authenticité quasi documentaire, en particulier lorsqu’il s’agit de filmer les jeux des plus jeunes, croquant l’enfance dans son mélange d’insouciance et d’inquiétude avec une grande sensibilité, tout en conduisant chacun(e) dans une évolution de son personnage. On est en particulier marqué par le rôle presque silencieux et pourtant si puissant du grand-père. Ce sont d’ailleurs les silences  qui sont les plus remarquables dans ce film, qui nous permettent de ressentir l’attachement de la famille et le déchirement qu’elle traverse.

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