Felice revient à Naples après 40 ans d’absence, pour revoir sa vieille mère. saisie par la nostalgie, il décide de s’installer, de faire venir sa femme égyptienne et de retrouver son meilleur ami de jeunesse, Oreste…
Le Napolitain Mario Martone choisit d’adapter le roman de son compatriote Ermanno Rea, œuvre qui tenait tant à cœur à l’écrivain qu’il la retravailla toute sa vie pour la publier quelques mois avant de mourir. Le cinéaste choisit un acteur qui n’est pas de Naples mais de Rome, Pierfrancesco Favino, pour donner corps à cet homme que toute une vie de voyage et de déracinement a profondément transformé. Habitué à d’autres coutumes, converti à une autre religion, ayant perdu tout accent de la région qui l’a vu grandir, entrepreneur en construction se croyant sans doute à l’abri du charme puissant qu’exercent encore sur lui les ruelles napolitaines. La première demi-heure consiste en une exposition centrée sur les retrouvailles entre l’homme et sa mère, ce qui permet de le présenter sous un jour sensible et affectueux.
Mais une fois seul, c’est comme s’il se trouvait rendu à une jeunesse erratique. Répliquant sur une petite moto achetée d’occasion les virées jusqu’à la mer qu’il accomplissait avec son meilleur ami à l’orée de l’âge adulte, Felice se perd dans ses souvenirs. Les flashbacks alternés avec le présent nous font ressentir la superposition des époques, avec un très beau travail de synchronisation des plans et d’opposition technique de grain, de format et de colorimétrie. Nimbé d’une lueur dorée, le passé semble idyllique, suffisamment pour que l’homme se persuade que les retrouvailles avec Oreste ne pourront être que positives. Mais parallèlement à cette amitié du passé se crée une relation nouvelle, avec le prêtre Don Luigi, qui se propose comme confident et, sans le savoir, fait resurgir la face sombre du passé.
Au-delà de l’histoire personnelle de son protagoniste, le cinéaste brosse de Naples le portrait d’une ville tiraillée entre l’emprise de mafieux et la présence de maigres contre-pouvoirs, déterminés à faire advenir la paix sociale et à accompagner la jeunesse vers une forme de réussite qui, dans tous les esprits, ne peut signifier qu’un départ de la ville. Felice est ainsi présenté comme un modèle à suivre, lui qui a connu un succès économique en Afrique.
Mais à mesure que Felice prend des risques, refusant d’écouter conseils aussi bien que menaces, les charmantes petites rues en pente dans lesquelles il appréciait de se promener s’assombrissent pour devenir de potentiels coupe-gorge. Le Naples de Martone ressemble au Madrid de Sorogoyen dans Que Dios nos perdone : une ville écrasée de chaleur où la tension ne retombe jamais vraiment et où la violence tapie dans l’ombre n’attend qu’un minuscule signal pour se déchaîner. L’homme qui porte la joie dans son prénom, malgré les bons moments qu’il partage avec les jeunes protégés du prêtre et sa volonté de construire une nouvelle vie, peut-il vraiment être de taille face à Oreste, qui comme son nom l’indique semble sorti d’une tragédie antique pour incarner le poids de la culpabilité et l’impossibilité d’échapper au retour de bâton du destin ? Si la réponse peut paraître évidente, la mise en scène soignée parvient tout de même à nous tenir sur les charbons ardents jusqu’à la chute.
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