Entretien avec Hlynur Pálmason autour du film Godland

On a profité du passage à Paris du cinéaste islandais, établi au Danemark, pour une petite conversation multilingue (comme son film Godland).

  • Vos précédents films étaient contemporains. Comment avez-vous décidé de faire un film historique et comment avez-vous choisi la période de la fin du XIXe siècle ?

« Ce qui a déterminé le moment où se déroule le film, c’est l’appareil photo »

H.P. : « J’avais ce désir et ce besoin de travailler autour des deux pays dans lesquels j’ai vécu et que je connais bien, les deux langues que j’adore et que je déteste. Il y a des choses que j’aime et des choses qui me déplaisent dans les deux pays. Comme je voulais faire quelque chose de cela, j’ai commencé à me renseigner sur l’histoire entre les deux pays et j’ai senti que je devais retourner en arrière, au moment où l’Islande dépendait de la couronne danois, explorer cette période. Ce qui a déterminé le moment précis où se déroule le film, en fait, c’est l’appareil photo, la technique qui date de cette période. »

  • Comment pensez-vous que les Islandais(es) et les Danois(es) d’aujourd’hui vont accueillir le film ?

H.P. : « Je viens juste de passer une semaine au Danemark, comme ici, à faire des projections et parler avec des gens et des journalistes. J’ai l’impression que ça les intéresse et qu’ils ne connaissent pas très bien cette histoire entre les deux pays. Mais je sens qu’il y a un certain enthousiasme, c’est très positif. Côté islandais, je ne saurai pas avant le mois de mars, parce que le film sort beaucoup plus tard là-bas. Mais je pense que le public des autres pays verra le film d’une manière vraiment différente des publics danois d’une part et islandais d’autre part. Parce que les gens de ces deux pays auront une compréhension un peu différente des deux langues, de ce que chaque personnage dans le film peut comprendre ou pas etc. Le public international ne comprendra jamais entièrement, mais ce n’est pas grave, on n’a pas forcément besoin de tout comprendre. »

  • Comment ça s’est passé sur le tournage avec ces différentes langues parlées ? Est-ce que tout le monde se comprenait ?

« L’énergie qu’on a sur le plateau de tournage infuse dans le film »

H.P. : « Non ! Il y avait des Islandais, des Danois, des Suédois, des Italiens, des Colombiens… un mélange de plein de pays. Donc quand il fallait s’adresser à tout le monde, il fallait parler anglais. Quand je parlais aux acteurs, je parlais soit islandais soit danois. Et quand je parlais avec mes collaborateurs c’était un mélange d’anglais, d’Islandais, de danois. C’était pareil quand j’étais en train d’écrire : un genre de chaos linguistique fou. Mais il me semble que c’est important, que l’énergie qu’on a sur le plateau de tournage infuse dans le film.  »

  • Votre personnage principal est prêtre. C’était important pour vous de parler du poids de la religion sur les interactions humaines ?
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©Maria_von_Hausswollf

H.P. :  « Je crois que ce qui m’intéressait c’était l’opposition entre Ragnar et le prêtre. Un prêtre a beaucoup de pouvoir et d’autorité, d’autant que l’Église a de l’argent. Ça crée forcément une forme de hiérarchie. La conception religieuse de Ragnar c’est plutôt une peur de Dieu ou une peur de l’inconnu. À beaucoup de niveaux, le film joue sur cette opposition.  »

  • Lucas est également photographe. C’est quelque chose qui semble bien lui convenir, parce qu’il a un tempérament plutôt observateur, il n’est pas très à l’aise quand il s’agit d’interagir avec les gens. Est-ce que c’est le fait qu’il doive prendre des photos qui a contribué à l’écriture de sa personnalité ?

« Tout le processus reste assez mystérieux à mes yeux »

H.P. : « En fait, quand je crée un personnage, j’en sais vraiment très peu sur lui. J’ai tendance à écrire pour des acteurs donc là, j’avais Elliott en tête, mais aussi Ingvar et ma fille. La plupart du casting est déjà choisi des années avant le tournage. Je crois que je fais ça parce que c’est très compliqué pour moi de devoir expliquer aux gens d’où vient un personnage, les motivations de ses actes, son passé. Quand je commence à parler de mes personnages comme ça, j’ai le sentiment que je ne dis pas la vérité, que je ne suis pas honnête. Donc j’arrête de le faire. Maintenant je préfère explorer avec les acteurs : si quelque chose fonctionne pour eux, ça fonctionne pour moi aussi. Tout est une histoire d’instinct, on se dit « on essaie ça » et on voit si ça marche. Mais si quelqu’un vient vers moi avec plein de questions sur son personnage et que je commence à essayer de disséquer les choses, alors là j’ai l’impression que les choses m’échappent et que je ne suis pas vraiment en train de faire le film. J’ai besoin de voir et de sentir les choses. Du coup je tourne de façon chronologique. Les acteurs ont le temps de grandir avec les personnages j’essaie de les aider, on collabore, mais d’une certaine façon, tout le processus reste assez mystérieux à mes yeux. Je n’en sais pas plus qu’eux, on doit trouver ensemble.  »

  • Quand on regarde le film, on est dans la même posture que Lucas derrière son appareil photo : on ne fait pas vraiment partie de ce qu’on voit. C’est en grande partie lié au choix de la technique et du format d’image. Comment avez-vous réfléchi et travaillé sur ce sujet ?
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©Maria_von_Hausswollf

H.P. :  « Tout est parti d’une frustration par rapport au format dans lequel j’avais tourné précédemment. J’avais tourné en 35 mm, qui est plus large donc qui donne l’impression d’être plus grand mais en fait l’espace du négatif est plus petit. J’avais du mal à me rapprocher des visages, j’avais l’impression de ne pas avoir assez de place. Alors j’ai essayé en format 1:33. J’ai trouvé ça tellement beau, j’étais fan du cadrage et du fait que je pouvais vraiment m’approcher des visages. Et ça permet de capturer les paysages d’une façon beaucoup plus intime, c’est une question d’échelle, et j’adore ça. Donc j’ai décidé de tourner dans ce format, et c’est seulement après qu’on s’est rendu compte que ça produit le même rendu que le ratio des photos de Lucas. C’est une coïncidence, une coïncidence heureuse. »

  • C’est aussi un film très philosophique, à plusieurs niveaux. Il évoque le passage du temps, la religion, la foi et la peur, notre nature humaine dans la nature avec un grand N. Comment avez-vous assemblé tout cela à l’écriture ?

« Il y a beaucoup de philosophie rien que dans le fait de contempler »

H.P. : « Quand je fais un film, j’aime prendre mon temps. Par exemple, pour ce film-ci, pendant l’écriture, je suis parti faire des balades à cheval avec mon père pour me mettre dans l’ambiance pour écrire les scènes de voyage. J’ai aussi tourné deux scènes sur une période de 2 ans avant même qu’on finance le film. Pendant que je tournais les plans du cheval de mon père en train de se décomposer dans le champ, j’écrivais le film. Je crois qu’il y a beaucoup de philosophie rien que dans le fait de contempler, de prendre le temps. Si vous avez le temps de digérer les choses, d’y réagir, vous avez le temps d’y penser vraiment. Sans doute que les gens ne font plus trop ça aujourd’hui, mais avant rien qu’en allant aux toilettes les gens réfléchissaient. Maintenant même là ils sont sur leur téléphone, donc ils n’ont plus le temps de penser. Mais si vous avez une caméra et que vous marchez dans la nature jusqu’à l’endroit que vous voulez filmer, que vous vous installez, que vous filmez, vous avez le temps de penser à ce que vous êtes en train de faire. Et ça influe sur le film, forcément. »

  • Si on dit que le parcours de Lucas peut être vu comme l’inverse des stades de Kierkegaard, de celui de la foi à celui de l’esthétique, ou du moins à quelque chose de plus physique ou concret, est-ce que c’est quelque chose auquel vous avez pensé et auquel vous adhérez ?
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« Il y a une connexion profonde entre les opposés »

H.P. : « Je crois que je ne connais pas assez bien Kierkegaard pour répondre vraiment. Je crois que la façon dont nous avons travaillé, c’est de commencer assez naïvement en mettant les opposés en présence et en se demandant ce que ça crée. D’un côté, on a un homme de la nature, de l’autre un homme de foi plus moderne. On a une façon de parler islandaise et une façon de parler danoise, qu’est-ce que ça crée pour les dialogues ? C’est ce qu’on a exploré et je crois que ce que j’ai trouvé, c’est qu’il y a une connexion profonde entre les opposés. Par exemple, dans la mort, il y a de la vie. Je ne savais pas ça, mais quand je l’ai compris, ça a influé sur tout le récit et sur sa fin. Je ne savais pas comment le film allait se terminer mais quand j’ai filmer le cheval en train de se décomposer, j’ai vu que les vers le mangeaient, que des oiseaux venaient pour manger les vers et laissaient des fientes partout, et au printemps ou au début de l’été d’après, des touffes d’herbe et des fleurs ont commencé à pousser sur la carcasse du cheval. Alors que tout autour, tout était gris et sec, mais là où était mort le cheval, c’était fleuri et verdoyant. C’était incroyable ! Cette surprise est devenue ce que j’ai essayé d’exprimer dans le film. »

[ALERTE SPOILER !]

  • Quand vous avez commencé à écrire, vous ne saviez pas comment le film allait finir ?

H.P. : « Je savais que Lucas allait mourir, donc j’ai essayé de trouver l’endroit où il allait reposer. Je ne savais pas s’il était tombé de son cheval, s’il était mort pendant une tempête, ou si quelqu’un l’avait tué… C’était comme une exploration pour arriver à trouver ce qui s’était passé. Et à force d’écrire, de filmer, de réécrire, ça a émergé. C’est apparu comme à reculons, de manière très étrange. »

Traduction : Lilylit

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