« Les Huit montagnes » : tout près du ciel, j’ai ma maison

Pietro, qui vit à Turin, part pour un mois dans les montagnes du Val d’Aoste avec sa mère. Dans le village où la famille a loué une maison, il rencontre Bruno, qui aide son oncle et sa tante à élever des vaches. Les deux garçons deviennent aussitôt de grands amis…

Prix Médicis étranger 2017, le roman de Paolo Cognetti a tapé dans l’œil de Félix Van Groeningen et de sa compagne Charlotte Vandermeersch. Pendant le premier confinement, le couple, qui avait déjà travaillé ensemble sur le scénario d’Alabama Monroe, décide de se lancer dans un projet d’adaptation à quatre mains. Finalement, la symbiose de l’écriture les pousse à co-réaliser le film, là où le livre place l’intrigue, ce qui leur impose d’apprendre rapidement l’italien pour travailler dans le Val d’Aoste pendant plusieurs mois.

Après des œuvres dont la construction narrative éclatée demandait aux spectateurs/trices un effort de recomposition des bribes fournies pour comprendre l’ordre des événements, le cinéaste belge et sa co-autrice ont opté cette fois-ci pour une forme linéaire de bout en bout, comme si la maturité leur imposait de simplifier. Il faut dire que l’œuvre est porteuse d’un souffle épique qui nécessite d’éviter les fioritures. Il y a quelque chose de pur et de limpide dans cette histoire, sans doute parce qu’en son cœur vibre une amitié d’enfants. La première demi-heure du long-métrage, qui présente la naissance de la relation entre Pietro, petit citadin de classe moyenne, et Bruno, enfant des montagnes ballotté entre père absent et oncle et tante harrassé(e)s de travail manuel, a des réminiscences de Pagnol. On y retrouve l’universalité du lien qui se crée  au grand air, mettant à plat l’ascendant social que le gamin de la ville aurait pu avoir dans un autre contexte et donnant tout l’espace nécessaire pour que l’attachement s’épanouisse au gré des aventures vécues dans les hautes herbes.

Chaque plan en extérieur est parfaitement composé et éclairé, le cadrage permettant de prendre conscience de l’immensité des montagnes et de la petitesse des êtres humains. L’évolution du paysage en fonction de l’heure du jour, du climat et de la saison, font des montagnes un cadre vivant qui bien plus qu’un décor vient nourrir la relation des protagonistes. La montagne est également capitale pour le père de Pietro, qui semble ne trouver l’épanouissement dont il est privé en ville que lorsque l’été lui offre quelques jours de répit pour de longues balades en solitaire sur les sommets, pour lesquelles il est ravi que son garçon lui propose sa compagnie. Comme dans Beautiful boy, la relation entre père et fils est un des sujets majeurs du film, qui s’écrit à partir de l’entrée dans l’adolescence sur le mode de l’opposition, assez classiquement, avant que l’absence et la maturité ne permettent une forme de compréhension et de réconciliation. Entretemps, d’autres liens se sont créés, et s’il n’y a jamais de rivalité ouverte entre Bruno et Pietro, ceux-ci constituent comme les deux faces d’un Janus, l’un pouvant prendre au moins temporairement la place de l’autre en fonction de leurs choix ou de leurs humeurs. Et toute la beauté de cette relation vient peut-être du fait qu’à aucun moment l’un ou l’autre n’en fait le reproche à son ami, comme si, à l’image de la maison construite ensemble, tout ce qui appartenait à l’un devait aussi appartenir à l’autre.

Pour composer ce duo amical à l’âge adulte, le binôme de cinéastes a fait appel à deux stars du cinéma italien, amis à la ville, Luca Marinelli et Alessandro Borghi, qui chacun naturellement se projetait plutôt dans le personnage de l’autre. Les deux font pourtant merveille ainsi distribués, Bruno dégageant une forme de stabilité terrienne et concrète, que les nécessités capitalistes viennent  mettre en danger, Pietro portant en lui une quête jamais assouvie qui le pousse au départ et à l’écriture. En prenant tout le temps pour développer ses personnages et déployer leur amitié dans la durée, en la confrontant aux choix intimes et professionnels de chacun, Les Huit montagnes fait de l’aventure que représente une relation humaine forte une histoire épique pleine de souffle où chaque détail laisse une empreinte. Moins radicalement déchirant que les précédents films de Félix van Groeningen, celui-ci a pour lui plus de lumière et une douleur contenue et digne qui n’a pas besoin de torrents de larmes pour laisser sa marque au cœur.

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