

La vie d’Adri, rythmée par ses jeux avec son frère et sa sœur, se complique à l’orée de l’adolescence : son corps féminin ne lui correspond pas et les tensions entre ses parents vont croissantes…
Présenté en avant-première française en clôture du festival Chéries-Chéris, le nouveau film d’Emanuele Crialese est de l’aveu du cinéaste lui-même, son plus personnel. Projet maintes fois repoussé au profit d’autres histoires moins intimes, celui-ci trouve enfin son expression qui transcrit les souvenirs d’enfance du réalisateur. À l’occasion de la sortie de ce long-métrage, celui-ci a fait son coming-out trans expliquant que le parcours d’Adri dans le film correspondait véritablement au sien. Après avoir cherché un enfant vivant la même situation, il craint que le tournage n’ait trop d’incidence dans un tel chemin de vie et finit par rencontrer la championne de supermoto Luana Giuliani. Elle apporte au long-métrage une présence extrêmement forte, dont l’intensité de la vie intérieure transparaît par un regard concentré et fiévreux, souvent capté en gros plan. Son personnage se tient à la lisière, quelque part entre l’enfance et l’adolescence, dans laquelle il ne veut pas entrer pour ne pas voir son corps se féminiser, et entre deux genres, les costumes et la coiffure contribuant à lui donner une allure androgyne qui permet aux autres personnages de pouvoir l’identifier aussi bien comme garçon que comme fille de manière crédible.
On retrouve un peu du charme trouble de Tomboy dans la relation qui unit Adri, sous le prénom d’Andrea, avec la petite Sara, jeune contorsionniste qui vit dans les baraquements des ouvriers qualifiés de gitans par le reste de la population. Au-delà de la question du genre, le lien entre les deux enfants est mal perçu par la famille qui tient à son image bourgeoise de respectabilité. Observée par le prisme du protagoniste, mais comme déjà au passé sous la forme du souvenir, avec le mélange d’éclat et de flou, de réécriture que celui-ci peut comporter, la vie familiale est tiraillé entre deux pôles qui correspondent plus ou moins aux deux parents. D’un côté, la nécessité de l’obéissance aux règles imposées par un père craint la plupart du temps, avec lequel les seuls moments de complicité ont lieu en voiture sur la route des vacances dans la frénésie de la vitesse. De l’autre, la souplesse et l’adaptabilité nécessaires pour composer avec les humeurs maternelles. Après Madres paralelas, Pénélope Cruz trouve ici à nouveau l’expression d’un rôle de mère complexe. À la fois très proche de ses enfants, et très friande de l’univers de l’enfance, avec un tempérament appréciant la fantaisie, le jeu, le décalage, toujours prompte à transformer la banalité du quotidien en quelque chose de ludique (par exemple dans la formidable scène d’ouverture et sa chorégraphie pour mettre la table), mais également torturée par son statut d’épouse au foyer d’un homme ouvertement séducteur, volage, considérant toute femme comme disponible pour ses ardeurs sexuelles, et volontiers brutal.
À travers une photographie estivale et une mise en scène associant le dynamisme de l’enfance à des cadres plus posés jouant avec le montré et le caché (par exemple dans un placard, derrière une porte…), le cinéaste arrive à retranscrire toute une époque, celle de l’Italie des années 70, dont l’aspect très coloré des intérieurs et des costumes contraste avec le noir et blanc télévisuel. Rai Uno et ses émissions de variétés constitue une fenêtre vers un monde de paillettes où il est permis d’exprimer ses émotions et sa personnalité dans le chant et la chorégraphie. Adri y trouve une forme de correspondance avec son propre vécu et se projette, avec sa mère, en lieu et place des stars comme Patty Pravo et Johnny Dorelli pour pouvoir, enfin, crier au monde qui il est. Un écho certain avec le choix de carrière d’Emanuele Crialese, qui a trouvé lui aussi un medium artistique pour s’exprimer.
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