Chéries-Chéris 2022 – Les agitateurs, Éléphant, Les damnés ne pleurent pas

Les agitateurs

image extraite du film Les agitateurs / Marco Berger

Arthur a invité une dizaine d’amis pour les fêtes de fin d’année. Dans une grande maison avec piscine, les jeunes hommes laissent libre cours à un humour potache et à l’escalade des photos les plus compromettantes possible…

Déjà l’année dernière avec Le Prédateur, le cinéaste argentin Marco Berger, habitué de Chéries-Chéris, nous donnait à réfléchir sur une masculinité dangereuse, celle des pervers qui recherchent du contenu pédopornographique. Cette fois-ci, en apparence, ses personnages sont des hommes lambda, un groupe de jeunes adultes glandeurs qui passent leurs vacances à jouer aux jeux vidéos, faire la fête la nuit et dormir le jour, plonger dans la piscine, et enchaîner les pranks, si possible à connotation sexuelle. Le groupe a un peu l’air d’avoir 13 ans d’âge mental, et l’effet du collectif pousse chacun à aller toujours plus loin, quitte à dépasser les limites acceptables. Excellant toujours à gérer les espaces, le rapport entre ce qui est caché et montré, le voyeurisme derrière les portes entrebaillées, Marco Berger en profite pour faire jaillir une analyse progressive des dynamiques de groupe. On repère d’abord l’isolement progressif de Poli (Franco de la Puente), toujours objet des blagues du groupe et régulièrement de corvées. Le jeune homme souvent silencieux mais très observateur ne semble pas tellement amusé par les récurrentes blagues autour de l’homosexualité, un thème de prédilection pour le groupe qui semble considérer l’hypothèse de rapport charnel entre eux comme si honteuse qu’il vaut mieux en rire. Parallèlement, des meneurs se dégagent, à l’instar de Nico (Bruno Giganti), jamais avare d’une réflexion sexiste assimilant toute jolie fille à une prostituée ou une fille facile, souvent instigateur des blagues les plus poussées et du début de harcèlement envers Poli, mais pas forcément très au clair non plus sur ses propres pratiques sexuelles. À mesure que le film se déploie, la toxicité des rapports au sein du groupe se dévoile, la complicité de façade révélant le poids des normes d’une masculinité fanfaronne. La venue de filles dans la maison est l’occasion de prouver, s’il le fallait encore, que pour beaucoup, la sexualité est vécue comme une compétition entre mâles, dans laquelle tous les coups sont permis :  s’incruster avec un camarade et sa partenaire, envoyer une photo qui risque de semer la zizanie dans le couple d’un ami, et pire encore, forcer une fille alcoolisée à un rapport. On peut regretter que le viol soit à peine traité dans la suite du long-métrage, qui tend à le mettre de côté pour se concentrer sur la tension entre Nico et Poli, au centre de laquelle se retrouve Andy (Agustín Machta), dont la capacité à envisager la sexualité comme fluide et pas forcément correspondant à une étiquette, en dépit d’un côté addict et d’une volonté de correspondre à l’image socialement attendue en public, suffisent à venir remettre en cause souterrainement les fondements de l’identité masculiniste affichée par le groupe. Comme toujours, on peut compter sur Marco Berger pour faire croître la tension et tourner au thriller ce qui commençait comme un film de potes.

Éléphant

image extraite du film Elephant / Kamil Krawczycki

Après le départ de son père, Bartek a dû très jeune aider sa mère à faire tourner la ferme. Lorsque le vieux voisin décède, son fils avec lequel il était en froid débarque pour régler les formalités. Très vite, la complicité s’installe entre lui et Bartek…

Pour son premier long-métrage, le cinéaste polonais Kamil Krawczycki revient dans le sud du pays, d’où il est originaire, pour proposer un délicat parcours d’émancipation révélant le grand écart entre la vie urbaine et la vie rurale dans le rapport à l’homosexualité. Pour son protagoniste, qui a grandi à la campagne, affirmer son orientation sexuelle semble tout à fait impensable. Au-delà, Bartek semble totalement soumis à ce qu’il considère comme son devoir de fils et de petit-fils, celui de perpétuer la ferme familiale et d’accompagner les femmes de sa famille qui vieillissent sans hommes à leurs côtés.

Jan Hrynkiewicz présente avec beaucoup de douceur ce personnage de bon fils, sage et responsable depuis son plus jeune âge, qui cumule le travail de la ferme et un emploi au restaurant pour subvenir aux besoins du foyer, et semble n’avoir pour seule liberté que des promenades en solitaire à cheval. La photographie oppose au grand air verdoyant loin du regard d’autrui des intérieurs aux lumières jaunes qui dessinent sur les visages les ombres des angoisses. À partir de la rencontre avec le nouveau venu (le musicien Pawel Tomaszewski), L’éclairage se réchauffe et se tamise pour devenir propice à l’exploration du désir mutuel.

Récit d’émancipation assez classique sur le fond, Éléphant charme pourtant par des détails comme le dialogue et l’objet qui donnent au film son titre a priori curieux. Il y a entre les personnages une certaine grâce, qui s’exprime en particulier dans la mise en musique voire en pas de danse de l’émotion amoureuse (on retient notamment  « Christine » et  « Pursuit of happiness »). Pourtant, le long-métrage n’est pas exempt de moments douloureux qui viennent rappeler à quel point l’homophobie est ancrée dans les sociétés traditionnelles. Le personnage de la mère, remarquable d’ambiguïté, capable  d’une certaine cruauté dans la manipulation et en même temps d’un amour évident pour son fils, révèle la finesse d’écriture du cinéaste, dont on attend avec impatience les prochaines œuvres si elles sont de même niveau.

Les damnés ne pleurent pas

image extraite du film Les damnés ne pleurent pas / Fyzal Boulifa

Fatima-Zahra et son fils Selim, presque adulte, vont de ville en ville au Maroc, toujours menacé(e)s par la précarité et le qu’en-dira-t-on. Fille-mère contrainte à la prostitution, Fatima-Zahra espère toujours un avenir meilleur, mais Selim est contraint de trouver un emploi. 

Le Britannique Fyzal Boulifa, après un premier film sur l’amitié et la maternité, analyse une relation mère-fils entre affection et rejet où chacun(e) tente de trouver sa place et de gagner sa vie plus ou moins honnêtement. Dans un Maroc tiraillé entre des valeurs traditionnelles et des schémas familiaux à l’ancienne, dans lesquels la réputation et le suivi des impératifs religieux restent importants, et une forme de légèreté de mœurs importée par les Européens, dont l’argent semble pouvoir tout acheter, on se demande comment il a été possible de réaliser un film pointant du doigt autant de problèmes structurels.

L’excellente Aïcha Tebbae campe une forte personnalité capable de beaucoup encaisser pour survivre et faire survivre son fils, mais qui en même temps garde une certaine crispation morale et une forme d’idéalisme vis-à-vis des hommes qui lui fait espérer rencontrer celui qui changera son destin. Dans un univers plus riche et tamisé que les appartements sombres et chichement meublés dont il a l’habitude, Selim (Abdellah El Hajjouji), marqué par la honte du destin de sa mère, se retrouve paradoxalement confronté aux mêmes choix. Sa rencontre avec l’ambigu Sébastien (Antoine Reinartz) entremêle motivations financière et affective, comme si entre relations économiques et relations intimes, à tous les niveaux, le brouillage était inévitable. Même entre mère et fils, l’affection est toujours parasitée par les questions d’argent, du loyer à payer aux cadeaux à la provenance trouble. Porté par des interprètes marquant(e)s, lle film dénonce et trouble sans jamais tomber dans le voyeurisme.

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