Sous le nom de Nancy Strokes, une ancienne enseignante en religion, veuve, se paye les services d’un escort, Léo Grande. Mais une fois le jeune homme arrivé dans la chambre d’hôtel, elle est assaillie par les doutes et les questionnements moraux…
Pour ses débuts en tant que scénariste, l’actrice Katy Brand, associée à Sophie Hyde à la réalisation, est partie d’une idée qui a germé en 2020, celle d’une femme sexagénaire attendant dans une chambre d’hôtel l’arrivée d’un jeune escort. Au fil du temps, elle se rend compte que l’idée se déploie toute seule en elle et que les dialogues lui viennent avec à l’esprit son amie Emma Thompson, avec laquelle elle avait travaillé sur Nanny McPhee, dans le rôle principal.
Nous sommes fort aises que l’actrice ait accepté ce projet et que celui-ci ait trouvé une productrice pour arriver à son terme. En effet, bien que le titre mette en avant le personnage masculin (en anglais, Good luck to you, Leo Grande !), il s’agit d’une œuvre qui fait la part belle à un sujet encore rare au cinéma, mais aussi rare tout court car souvent tabou : le rapport à la sexualité et à leur corps des femmes de plus de 60 ans. Le personnage d’Emma Thompson a été écrit pour être représentatif d’une génération qui a grandi dans un univers encore relativement strict et souvent balisé par les interdits hérités de l’emprise religieuse, et a fortiori pour Nancy qui a enseigné la religion. Une génération qui s’est souvent mariée jeune et n’a pas forcément connu beaucoup de partenaires dans sa vie, et qui a pu trouver normal de limiter sa vie sexuelle à des positions répétitives et des coïts rapides visant à satisfaire l’homme comme s’il s’agissait de n’importe quel besoin d’hygiène.
Construit par cycles, où chaque conversation permet aux personnages de davantage faire connaissance, et à nous spectateurs/trices de mieux les comprendre, mais aussi d’approfondir d’un point de vue éthique et intellectuel les questionnements sur l’accès à la sexualité et les métiers du sexe, le long-métrage clôt chaque chapitre par une avancée pour le personnage féminin qui se découvre davantage elle-même et poursuit sa quête de l’épanouissement physique.
D’abord assez drôle et relativement pudique, ce qu’on pourrait presque lui reprocher vu son sujet, le film enrichit sa tonalité au fil du temps pour se faire à la fois sensuel, tendre, mais aussi parfois cruel et douloureux. Si le jeune homme campé par Daryl McCormack peut paraître un peu trop lisse et bienveillant pour être vrai, l’écriture s’est faite avec des consultants qui ont eux-mêmes une expérience dans le travail du sexe afin de coller à la réalité des pratiques mais aussi des raisons pour lesquelles ces personnes peuvent aimer exercer leur métier. Son empathie est à la fois une attitude professionnelle et un trait de caractère, mais heureusement, une péripétie donne l’occasion de fissurer un peu la carapace. Au final complexes l’un et l’autre, les protagonistes deviennent attachants justement grâce au trouble qu’ils éprouvent et à la remise en cause de leur façon de fonctionner et de leurs préjugés à laquelle on assiste durant ces rendez-vous que l’on suit en temps réel.
L’unité de temps et de lieu, avec cette chambre d’hôtel bleue à la fois confortable et impersonnelle qui ferait presque décor de théâtre, permet à la fois une mise en scène resserrée sur les personnages et un tempo de comédie, presque de vaudeville comme l’hôtel y incite, mais aussi un cadre intime par ses matières douces et hygge mais suffisamment neutre, presque comme un cabinet de psy, qui permet de faire jaillir l’inattendu, qu’il s’agisse d’un bouleversement sensible ou d’une confession échappée. Si l’on peut toujours discuter le point de vue sur le travail du sexe qui se dégage de l’œuvre à la fin, tout l’intérêt est le cheminement intellectuel qui permet d’y parvenir, et reste toujours couplé à une quête sensuelle de libération et de plaisir, facile et agréable à suivre. Emma Thompson est impériale dans ce rôle nuancé et riche de femme qui découvre qu’il n’est jamais trop tard pour une forme d’empowerment. Rien que pour cette leçon-là, on aimerait que le film soit beaucoup vu, en plus de procurer un moment de divertissement.
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