Chéries-Chéris 2022 – Easy Tiger, Nun of your business, Blue Jean

Easy Tiger

image extraite du film Easy Tiger / Karel Tuytschaever

Un psychologue, en couple avec une femme, est bouleversé par un patient qui lui raconte avoir assisté à la mort de l’homme qu’il aimait. Le praticien entame une relation avec son patient…

Le premier film du Belge Karel Tuytschaever aurait pu rester une énième variation sur la découverte par un homme (Mickaël Pelissier, vu dans Guermantes) de son désir homosexuel et le douloureux choix qu’il doit accomplir entre une vie normée aux côtés d’une femme ou le fait de vivre au grand jour sa passion pour un homme. La très grande originalité de ce film réside dans le fait que le patient qui fait craquer le psychologue est un jeune homme sourd-muet (Casper Wubbolts). Tout le film est ainsi pensé pour que les personnes entendantes et les personnes sourdes ou malentendantes puissent bénéficier d’une expérience similaire. C’est pourquoi, très peu de dialogues sont prononcés de façon orale, seulement quelques-uns à partir de la moitié du film à peu près. Toutes les conversations, qu’elles aient lieu en langue des signes, en français oral ou en anglais oral, sont sous-titrées de manière assez classique. Mais, en plus, la plupart des échanges qui ont lieu entre le personnage du psychologue et sa compagne ne sont pas oralisés mais nous sont retranscrits comme au style indirect par le narrateur dans une voix off écrite, qui se distingue des sous-titres car elle apparaît en rouge en haut de l’écran. L’habillage sonore du film fait la part belle à des bruits du quotidien mais comporte peu de musique. C’est donc un film essentiellement silencieux qui nous est offert, ce qui concentre d’autant plus l’attention sur le visuel et l’aspect sensoriel. L’esthétique est très soignée, parfois presque clinique, ce qui correspond à la profession du protagoniste et également d’une de ses amis médecin. Il faut signaler pour les personnes qui y seraient sensibles que le personnage principal subit des examens médicaux invasifs et des problèmes de santé qui peuvent être impressionnants à l’écran.

Nun of your business

image extraite du documentaire Nun of your business

Pour fuir la vie qui lui semble toute tracée, Marita décide d’entrer dans les ordres. Pendant son noviciat, elle rencontre Fani, elle aussi religieuse et elle aussi lesbienne…

Ce documentaire croate a demandé sept ans de travail à sa réalisatrice Ivana Marinić Kragić. En effet, elle y aborde une thématique souvent taboue, celle de la sexualité des personnes vivant dans des communautés religieuses. Marita et Fani, aujourd’hui revenues à la vie civile et vivant en couple, abordent séparément puis ensemble des moments-clés de leur parcours de vie à la fois dans leur rapport à la religion et à leur homosexualité. Le film s’appuie sur quelques images d’archives, par exemple captées au moment de prononcer leurs vœux pour un an de noviciat, ou les présente aujourd’hui dans des scènes à la fois simples et poétiques, comme au bord de la mer.  Mais la majeure partie du long-métrage se compose d’un processus rarement observé au cinéma depuis La Jetée : s’appuyant sur le genre du roman-photo, la cinéaste recompose avec des actrices et sur le mode de la fiction le passé des deux anciennes religieuses pour nous faire ressentir à travers l’image ce par quoi elles ont pu passer. Les plans fixes proposent des mouvements décomposés qui accentuent le focus sur les expressions faciales des personnages, en l’absence de dialogue prononcé, mais s’accompagnent de bruitages qui recréent la continuité temporelle des mouvements. L’ensemble est esthétiquement audacieux et permet de mettre en lumière la rigueur apparente d’une institution qui cache en son sein des relations romantiques et sexuelles parfois consenties mais étouffées, parfois malheureusement forcées en s’appuyant sur le principe hiérarchique des congrégations.

Blue Jean

image du film Blue Jean - Georgia Oakley

Jean enseigne l’éducation physique et sportive dans le nord de l’Angleterre. Appréciée dans son établissement, elle craint que l’article 28 du gouvernement Thatcher qui criminalise l’homosexualité ne mette en danger son emploi…

Déjà primé par le public à Venise, le film de Georgia Oakley revient sur un moment sombre de la vie des personnes LGBT+ au Royaume-Uni, lié à l’homophobie du gouvernement Thatcher, avec l’article 28 qui ne fut abrogé qu’en 2004. Le titre, malin, évoque l’état d’esprit mélancolique du personnage principal ainsi que la tenue alors largement portée en dehors de l’établissement où, hormis en cours de  sport, la jupe courte et plissée est de rigueur. La reconstitution de la fin des années 80 dans le nord de l’Angleterre passe par un travail de costume précis, à la fois dans les uniformes mais aussi dans le blond platine de la protagoniste ou la coiffure sage de sa sœur.

Rosy McEwen fait preuve d’une grande finesse dans l’incarnation de cette jeune femme tiraillée entre deux aspects de sa vie qui se trouvent soudainement en contradiction. D’un côté, son statut d’enseignante, très appréciée des élèves de l’équipe de netball mais aussi du corps professoral, qui ne souhaite rien tant que l’inclure dans leur apéro régulier. Jean les esquive autant que possible, car le soir, elle préfère sortir au club LGBT+ du coin avec ses copines et sa compagne Viv, qui assume un look butch et tatoué. Déjà aux prises avec le regard de sa famille sur sa vie privée depuis son divorce d’avec un homme, Jean se retrouve confrontée à l’angoisse que son intimité soit exposée et jugée publiquement à partir du moment où elle croise une de ses élèves à son QG habituel. La jeune Lucy Halliday  donne vie à un personnage d’adolescente à la fois victime de l’exclusion de la part de ses camarades qui devinent sa singularité mais sûre de vouloir s’affirmer hors de l’établissement et en quête de modèles. La confrontation de ces deux générations de lesbiennes donne lieu à une réflexion sur la sororité, la transmission, l’entraide entre adelphes LGBT+ mais aussi le poids de la peur de chacun(e).

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