« Le lycéen » : tu as pris la route sans dire adieu

Pour Lucas, 17 ans, la vie bascule lorsque son père trouve la mort dans un accident de voiture. Son grand frère, avec lequel les relations sont tendues, propose de l’emmener avec lui quelques jours à Paris pour changer d’air…

Ce n’est pas la première fois que Christophe Honoré réalise un film très personnel, mais avec Le Lycéen, il s’attelle à un événement aussi douloureux que fondateur, en évoquant le décès brutal et prématuré de son père, et l’état d’esprit qui fut alors le sien dans les semaines suivant le drame. L’aspect psychologique du film est endossé par des scènes de confessions de Lucas (Paul Kircher) face caméra, le regard fuyant l’objectif, la voix poursuivant son exploration en off pendant que nous le suivons visuellement dans sa vie courante. Si le côté autobiographique de l’histoire nous ramène au passé, impression renforcée par des morceaux de la bande-son des années 70, des tenues relativement intemporelles, et une esthétique hivernale grisâtre et comme légèrement brumeuse qui donne une sensation de souvenir, le cinéaste choisit toutefois d’ancrer l’intrigue non pas dans l’époque de sa jeunesse mais dans un présent qui se rappelle à nous de manière surprenante, dégageant presque une sensation d’anachronisme lorsque sont évoqués des éléments politiques actuels ou quand les lycéen(ne)s apparaissent masqué(e)s en classe. Cette sensation de flou temporel correspond assez bien à l’état intérieur du protagoniste, qui décrit tantôt une impression d’anesthésie, tantôt de lucidité accrue.

On sent que le cinéaste s’est attaché à la description précise du poids du deuil, y compris de façon physique et sensorielle. Dans le premier quart d’heure du long-métrage, la douleur subite nous est violemment envoyée comme un uppercut, les hurlements de Lucas déchirant le silence de la maison endeuillée. Par la suite, Christophe Honoré propose des scènes moins naturalistes, dans lesquels l’usage de filtres de couleurs (ce qui donne sa teinte rose à l’affiche) et un jeu de focales viennent transmettre le chamboulement éprouvé par l’adolescent. On observe également un très beau travail de cadrage et en particulier dans l’esthétisation des voitures, à la fois véhicule de mort et carcasse souvent protectrice du chagrin, permettant au regard de fuir la proximité générée par l’habitacle.

S’il nous a clairement habitué(e)s à dépeindre le chagrin de la perte voire l’envie d’en finir (Les Bien-Aimés), Christophe Honoré habituellement les enveloppe dans les atours d’un romantisme cette fois absent. Le point d’émotion, c’est à l’intérieur de la famille qu’on le trouve, et en particulier dans la relation toujours affectueuse et pleine d’inquiétude mutuelle avec la mère (émouvante Juliette Binoche). Mais dans son exploration sexuelle, Lucas fait peu de cas des sentiments, ce que la caméra exprime par des scènes volontiers crues. Et de manière cohérente, l’expression de la souffrance brutale peut elle aussi être très directe et sans ambages.

En dépit d’une espèce de chape de plomb qui pèse sur l’intrigue, celle-ci recèle des moments de complicité et de joie inopinés, comme une lutte d’un instinct vital contre la mort qui rôde. La relation entre Lucas et son grand frère (Vincent Lacoste, plus ombrageux que souvent), ainsi que la rencontre avec le colocataire de celui-ci (Erwan Kepoa Falé) permettent des scènes plus légères comme celle du karaoké (décidément un beau motif du cinéma français en 2022 après Les 5 diables et L’Innocent), car chez Honoré l’intensité et la variété des émotions passent souvent par la musique.

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