Ce jour-là , Hélène souhaite bonne nuit à son petit Melvil et demande à son mari, Antoine, de l’attendre, pendant qu’elle se rend avec un ami à un concert au Bataclan. Nous sommes le 13 novembre 2015…
7 ans. Il faut croire que l’âge de raison est aussi le délai jugé acceptable pour que le cinéma s’empare pleinement d’un événement traumatique réel et collectif. Depuis septembre, les écrans des salles obscures ont accueilli trois visions des attentats du 13 novembre 2015, celle d’Alice Winocour, celle de Cédric Jimenez et désormais celle de l’allemand Kilian Riedhof. On pourrait noter que Mikhaël Hers avait moins attendu pour nous offrir Amanda, mais son œuvre déplaçait et transformait l’attentat, ne conservant que l’atmosphère qui a imprégné les rues parisiennes dans les jours suivants l’attaque. Et de fait, à ce jour c’est toujours le film qui retranscrit avec le plus de justesse ce qui planait dans la capitale à l’hiver 2015-2016. Si Vous n’aurez pas ma haine n’a pas la douceur et la subtilité d’Amanda, c’est que la situation du réalisateur est fort différente : il s’appuie sur une histoire réelle, connue de tous et de tout car largement médiatisée et ayant fait l’objet d’un récit écrit de la part d’Antoine Leiris. La vraie question qu’on peut se poser : fallait-il adapter ce livre ? Il semble que l’auteur se la soit posée lui-même, ayant hésité à en céder les droits.
Que le cinéaste ne soit pas français l’a rassuré, car cela lui semblait la garantie d’une distance nécessaire. On peut la trouver dans certains choix scénaristiques, comme la présence renforcée de la famille d’Antoine à ses côtés, crédible vu les circonstances. Par ailleurs, le réalisateur habitué des séries, comme la policière Tatort, propose un vrai point de vue sur l’histoire et un parti-pris cinématographique inattendu. À travers une caméra extrêmement mobile et proche de son personnage principal, capable de se glisser à hauteur d’enfant, de s’écrouler avec son protagoniste ou de se percher derrière son épaule, il opte pour un procédé d’immersion qui, à partir de l’information de l’attentat, transforme la vie d’Antoine en cauchemar éveillé. Il faut dire que l’appartement, où se déroule la majeure partie des scènes, porte déjà en lui la possibilité d’en faire un décor de film d’épouvante : son couloir entièrement noir, jusqu’au plafond, bardé de multiples portes dont plusieurs mènent aux mêmes pièces, de grandes fenêtres en étage élevé donnant sur la rue qui pourraient donner lieu à toutes sortes d’accidents ou de chutes volontaires. La scène, très forte, de l’appel téléphonique annonçant le décès d’Hélène, est traitée avec un mélange de grande pudeur et de montée d’angoisse. Par la suite, toute la réalisation concourt à nous faire ressentir le poids de la douleur et de la panique contre lequel se débat Antoine pour tenter d’assurer pour son fils un quotidien un minimum normal.
Il faut saluer les interprétations de la petite Zoé Iorio, si jeune et pourtant si fine en Melvil, bébé joyeux soudainement privé de sa mère, et de Pierre Deladonchamps, qui au-delà de la complicité qu’il parvient à instaurer avec l’enfant, nous fait traverser sans avoir besoin de paroles l’état intérieur tumultueux de cet homme dont la vie s’est soudainement effondrée. Le film a le bon goût d’être à la fois honnête et pudique quand il évoque le couple formé par Antoine et Hélène, dans l’amour incarné, quotidien et pas angélique, mais aussi de ne pas héroïser Antoine, lui qui a bien dit et écrit dans la réalité qu’il ne se considérait pas comme un héros mais comme un homme normal. Bouffé par le chagrin, il amuse son enfant avec l’énergie du désespoir mais perd parfois ses nerfs avec lui brutalement, envisage de se foutre en l’air et l’entreprend à petit feu par l’alcool fort, se montre parfois égoïste et immature face à la famille de sa compagne. Et puis il y a l’écriture qui lui revient, lui qui doutait de son projet de roman en cours, la célébrité qui lui tombe dessus et dont les retombées constituent une forme de réconfort. Là encore, le cinéaste n’élude pas toute l’ambiguïté. Ce n’est peut-être pas l’adaptation que tout le monde aurait voulu voir, parce qu’elle rechigne à nous faire trop pleurer, qu’elle préfère nous faire frémir de la peur que ça nous arrive, et qu’elle pointe toutes les failles et complexités de son personnage central. C’est exactement ça, pourtant, qui peut permettre de justifier ce projet d’adaptation.
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